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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

ourquoi avez-vous fait un livre sur Staline?

23 Sep

Hier j’ai expliqué à ma cellule ce que contenait le livre qui va paraître à la fin octobre chez Delga : 1917-2017, Staline, un tyran sanguinaire ou une héros national? J’ai été pressée de questions et j’en ai après tiré un questionnaire imaginaire avec mes réponses.

– Pourquoi un livre sur Staline?

– Malgré son titre il ne s’agit pas uniquement d’un livre sur Staline mais plutôt un ensemble de questionnements appuyé sur des faits et des arguments sur la nature du pouvoir soviétique. L’approche qui caractérise l’occident dans ce domaine, ses médias, ses politiciens, considère ce qui est intervenu en 1917 sous un double aspect. Il y a ceux qui voient une révolution quasiment libertaire initiée par Lénine trahie par Staline et les promesses d’émancipation humaine entrant dans la nuit du goulag jusqu’à la chute finale qui est dans la logique de cette révolution trahie par une bureaucratie criminelle. La seconde vision ne contredit pas la première mais dans la logique initiée par Furet considère que toute révolution est criminelle et inutile puisque l’évolution allait vers l’émancipation. Et nous avons en France, de pseudo études qui sont en fait le prolongement des thèses des nouveaux philosophes qui finissent par considérer comme identiques parce que « totalitaires » le nazisme et le communisme. S’il y a dans ce livre une affirmation c’est le refus de ce terme abandonné par la plupart des chercheurs, en particulier les anglo-saxons. Donc, ce qui m’a paru intéressant c’est de partir de la vision que l’on a du stalinisme pour poser des questions sur la nature du pouvoir soviétique et sur l’image qu’en donnent nos médias à la veille de la célébration de la Révolution d’Octobre. J’ai écrit ce livre, mais il n’aurait pas existé sans Marianne qui par ailleurs a traduit un certain nombre de textes en annexe.

– Vous avez donc fait une étude historique et sociologique sur le pouvoir soviétique?

– Ce n’est pas une étude, mais plutôt une pré-enquête. Déjà je remets en question ce que l’on peut attendre de certitude d’une enquête en expliquant à mes étudiants que jamais on ne ferait partir un avion avec le degré de certitude que nous avons sur la connaissance des faits sociaux, mais dans ce cas ce serait une véritable escroquerie de prétendre que nous avons réalisé une véritable enquête. Cependant les faits que nous rapportons sont infiniment plus proches de la réalité que la plupart des productions journalistiques, reportages, analyses qui se diffusent toute la journée dans la presse. Non ce serait plutôt une fonction de déstabilisation des idées reçues, la remise en cause de l’idée d’un savoir immédiat, la tâche minimale du sociologue selon Bourdieu.

– Sur quoi vous appuyez-vous?
– Il y a l’utilisation d’un matériau disparate et désormais très abondant. Les archives de l’Union soviétique ont été ouvertes et les anglosaxons ont fourni un travail important méconnu en France ou presque. Le livre débute d’ailleurs par l’exposé d’un livre anglais à charge sur Staline et nous remettons en cause sa vision en montrant que ce qu’il apporte ne va pas dans le sens de sa démonstration. Nous le faisons en relation avec les débats d’un colloque auquel nous avons assisté à saint Pétersbourg sur la révolution d’octobre et l’URSS et dont Marianne a traduit les principales interventions en annexe. Il y a bien sûr d’autres références en particulier un ouvrage remarquable de Geoffroy Roberts préfacé par Annie Lacroix-Riz publié chez Delga, les guerres de Staline, et bien d’autres travaux essentiels ou témoignages comme celui de Cerutti, à l’ombre des deux T (Thorez et Togliatti). Mais il y a surtout le constat qu’il est difficile de nier à savoir qu’aujourd’hui selon des sondages multiples et crédibles 68% des habitants de la Fédération de Russie regrettent l’Union soviétique. Ou encore que sur plusieurs années, quand on leur demande le nom des grands hommes de tous les temps, ils placent de plus en plus Staline et Lénine en tête. Et c’est là tout le travail de notre seconde partie, grâce à Marianne qui est une grande interprète et a une connaissance de l’intérieur de la Russie (et de la Chine) nous avons interviewé des habitants de Saint Pétersbourg , de Kazan et de Moscou. Mais pour que notre travail soit plus complet, il aurait réellement fallu une enquête sur les zones où le parti communiste de la Fédération de Russie a le plus d’influence comme la Sibérie et l’Altaï. Les trois zones étudiées sont celles où son influence est la plus faible, à Kazan, son score est à peine plus élevé qu’en Tchétchénie. Mais nous avons privilégié une autre dimension, celle de l’union des nationalités instaurée par le pouvoir soviétique et sa permanence ou ses problèmes aujourd’hui. Ceci en cohérence avec l’analyse que nous faisons du rôle joué par les réformes gorbatchéviennes dans la dissolution de l’URSS. De ce point, l’étude de cas de l’Azerbaïdjan est tout à fait éclairante sur la naissance de l’oligarchie aujourd’hui au pouvoir. Mais il y a là une des principales lacunes de notre travail. La Russie est le plus grand pays du monde et quand on analyse les bases du pouvoir soviétique ou de tout pouvoir dans ce pays, il est difficile de ne pas tenir compte des travaux de Moshe Lewin (encore un anglais)  qui analyse le caractère hétérogène des régions du temps où une paysannerie vivait dans des poches d’autarcie, les risques d’embrasement et la réponse apportée par Staline.

– Quelles sont vos principales conclusions?

-Il ne s’agit pas de conclusions, mais de pistes ouvertes à la recherche. D’abord le fait, comme je viens de le dire, que  ceux qui ont vécu l’Union Soviétique n’ont pas du tout la même opinion que la nôtre. Notons qu’il n’y pratiquement plus personne de l’ère stalinienne. Pour les Russes cette période appartient à leur histoire, ce qu’ils ont vécu c’est une tout autre période ou plutôt d’autres périodes. Les jours heureux de la stabilité sans la violence de l’ère de la guerre civile et de la période de Staline (qui est tout de même mort il y a soixante ans) et le grand foutoir de la fin de l’Union soviétique, la grande désillusion « démocratique » qui se poursuit et qui valorise d’autant plus le temps passé. Non seulement les conquêtes sociales, mais la culture, l’éducation, la santé, il est étonnant de voir à quel point cette nostalgie est souvent « morale ». Il m’est venu une hypothèse sociologique en observant les pratiques et en écoutant les propos: tous ceux qui me parlaient étaient issus de ce grand boulversement, la Révolution n’est pas seulement une aventure sanglante, elle est une opportunité pour les millions d’individus écrasés par un système injuste d’accéder à une autre vie, au savoir et même au pouvoir. Nous avons eu sous la révolution y compris sous Staline une immense promotion, un peuple de moujiks illettrés est devenu pratiquement une classe moyenne cultivée. Aujourd’hui nous avons au contraire une mobilité descendante et la plupart des « intellectuels », universitaires rencontrés multipliaient les travaux pour tenter d’assurer à leurs enfants un simple accès à leur statut, cela était encore plus dramatique pour les enfants de la classe ouvrière, quant à la paysannerie autrefois dans les kolkhozes, elle est face à des terres abandonnées, à un désert culturel et en matière d’éducation et de santé. Par parenthèse en France on croit que si Poutine ménage le passé communiste y compris Staline c’est parce qu’il est lui-même un dictateur. C’est plus complexe que ça, premièrement il tient compte de l’opinion de la majorité du peuple en affirmant que la Russie est l’héritière comme Etat de l’URSS. D’autre part il sait bien que cette référence à l’URSS permet de maintenir l’unité entre des peuples comme les Russes et les tatars. La Russie demeure une mosaïque. Là dessus aussi notre analyse trace des pistes mais demeure totalement insuffisante pour prolonger les travaux passionnants sur l’hétérogénéité des régions et des campagnes dans la formation du système soviétique.

– Et sur Staline?
Toujours au titre des hypothèses il y a ce que je viens de dire sur l’accélération et la transformation de l’appareil productif mais aussi des individus, le fait que les Russes ont une vision historique de cette époque. Il y a aussi leur colère contre le pillage actuel des oligarques, leurs difficultés et l’idée que Staline aurait balayé tout ça. Mais je m’interroge sur la nature de certains pouvoirs qui sont de nature à en finir avec l’ordre ancien. Marx parle de Spartacus qui est massacré mais après qui la crise du monde esclavagiste apparaît comme définitive. Il y a Robespierre après lequel même si il est décapité c’est la fin de la féodalité. Ce pouvoir se caractérise qu’il s’agisse de Lénine ou de Staline par le refus de tout compromis avec l’ordre existant, et le choix donc d’une terreur, d’une « dictature » et dans le même temps c’est le cas pour Robespierre ce pouvoir contient son propre dépassement y compris dans son échec, Robespierre pousse le plus loin possible la revendication égalitaire au-delà de la dictature de la bourgeoisie qui s’instaure de fait. Mais je le répète ce travail pose plus de questions qu’il n’apporte de réponse, il demande que s’ouvrent les débats, les confrontations, que les progressistes et les communistes ne se contentent pas de l’opinion des « vainqueurs ».

 

– Êtes vous stalinienne?
– C’est un mythe… Non seulement j’adhère après la déstalinisation, mais je rentre au comité central du PCF dans le Congrès qui condamne officiellement le stalinisme. Non mais je ne suis pas convaincue par les analyses de ce pouvoir croquemitaine, ni par les thèses du pouvoir personnel, Staline a un pouvoir collectif autour de lui, des gens compétents et convaincus. Il est remarquablement intelligent et cultivé, désincarné, qu’il soit un despote impitoyable en l’état j’aurais tendance à le croire, simplement cette dénonciation de Staline me semble avoir été mal menée, limite grotesque. Les conséquences que nous en avons tirées nous mènent à des impasses, il y a d’autres analyses, celle des Russes, des Cubains, des Chinois. Il est urgent de sortir les cadavres du placard, nous n’apportons marianne et moi que des pièces au dossier.

 
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