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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

Retraites: la CFDT est-elle tombée dans un "piège" du gouvernement

Laurent Berger reconnaît lui-même que l'organisation de la conférence de financement jusqu'en avril comporte "une part de risque”.

 
 

SOCIAL - “C’est sans surprise que le piège se referme”. Voilà comment réagissait, quelques minutes après l’envoi de la lettre d’Édouard Philippe aux syndicats annonçant le retrait provisoire de l’âge pivot de la réforme des retraites, Pierre Roger, spécialiste du dossier au sein de la CFE-CGC, syndicat des cadres qui demande le retrait de la réforme dans son intégralité.

Il n’est pas le seul à jouer cette petite musique au sein de l’intersyndicale. Beaucoup estiment en effet qu’en négociant un compromis, la CFDT n’a pas obtenu grand-chose et pire, fait le jeu du gouvernement et de son projet de loi. Ils appellent d’ores et déjà à reconduire le mouvement le grève de la semaine prochaine et demandent toujours le retrait “pur et simple” du texte.

Il reste un ”âge d’équilibre” dans le texte

Premier argument: la CFDT n’a pas obtenu totalement le retrait de l’âge pivot, mais le retrait de la mesure de financement jusqu’en 2027. Un ”âge d’équilibre” sera bien compris dans le futur régime universel. ”Ça n’est pas un retrait pur et simple. Le Premier ministre est très précis, il confirme que le futur régime comporte un âge d’équilibre”, insiste, sur France Info, Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière.

“Nous le savons parfaitement, mais cela nous laisse 17 ans!”, relativisait, sous couvert d’anonymat au HuffPost, le 11 janvier, le représentant d’un syndicat réformiste évoquant une date butoir en 2037. 

 
https://twitter.com/franceinfo/status/1216262679708475392

Retrait provisoire de l'âge pivot : "Ce n'est pas un retrait pur et simple", estime Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrièreVidéo intégrée

Retrait provisoire de l'âge pivot : "Ce n'est pas un retrait pur et simple", estime Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière

Autre argument, le retrait de cette mesure de court terme est temporaire, soumis à une solution alternative qui sortirait d’un accord entre partenaires sociaux lors de la conférence de financement, comme le dit explicitement la lettre de Matignon. 

“Vous voulez qu’on vous coupe la main gauche ou la main droite?”

“Laurent Berger est condamné à obtenir un accord, sinon il va perdre la face. Pour nous c’est très facile de monter au rideau, on attend ses propositions”, ironise d’avance Pierre Roger, de la CFE-CGC qui prévoit qu’aucun accord ne sortira de cette conférence de financement. “L’hypothèse d’un échec est loin d’être une hypothèse: personne n’était d’accord, la négociation n’a pas abouti”, rappelle le syndicaliste, autour de la table depuis plus de deux ans.

La CFE-CGC participera à la conférence de financement, mais ne voit pas comment de nouvelles mesures pourraient en sortir, alors que le cadrage de Matignon pour trouver des solutions alternatives de financement est très serré. Plusieurs options sont en effet exclues par l’exécutif. Il faut lire le point 8 de sa lettre aux syndicats pour comprendre ce que rejette Édouard Philippe. “Ces mesures de financement (...) ne devront entraîner ni baisse des pensions ni hausse du coût du travail”, met-il en garde. Il écarte donc d’emblée l’une des propositions de la CFDT et d’autres syndicats pour financer le système: la hausse de certaines cotisations.

Traduction pour Pierre Roger: “Vous voulez qu’on vous coupe la main gauche ou la main droite? Vous avez le choix, vous avez deux mois pour discuter”.

“Une victoire et un risque pour la CFDT”

Même la CFDT semble consciente que rien n’est encore acquis. “Ce retrait n’est pas un chèque en blanc”, reconnaît Laurent Berger ce 12 janvier dans les colonnes du Journal du dimanche. “Pour la CFDT, le retrait de l’âge pivot est une victoire, mais c’est aussi une part de risque”, ajoute le secrétaire général du syndicat au cœur de l’accord passé avec Matignon. 

Et pour l’instant les propositions alternatives à celles qu’a déjà refusées Édouard Philippe ne sont pas sur la table. “Parlons de la question du fonds de réserve des retraites”, propose Laurent Berger dans l’hebdomadaire alors que le gouvernement a déjà fermé la porte. “De la prise en compte de la pénibilité”, c’est justement ce qu’il faut financer, “De l’emploi des seniors”. Oui, reste à savoir comment les remettre dans l’emploi, et si la solution va pouvoir se trouver en deux mois.

“Le gouvernement a gagné en nous divisant”

“Ce que dit Édouard Philippe c’est qu’à défaut de solution, il reprendra la main avec le Parlement. Pas que l’âge pivot reviendra”, veut croire le leader de la CFDT, toujours dans le JDD. Une lecture bien optimiste de la lettre d’Édouard Philippe.

Le chef du gouvernement écrit en effet noir sur blanc “Je prendrai mes responsabilités” et prend le soin d’éviter à l’avance une confrontation parlementaire en annonçant une réforme par ordonnance, au point 7 de son texte. “Dans l’hypothèse où un accord ne pourrait intervenir, le gouvernement, éclairé par les travaux de la conférence prendra par ordonnances les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre d’ici à 2027 et financer les nouvelles mesures de progrès social”, peut-on lire. 

“En cas d’échec, l’âge pivot reviendra par voie d’ordonnance”, prédit Pierre Roger, de l’intersyndicale, qui en conclut: “Le gouvernement a gagné en en nous divisant”.

Complément au 24 janvier. En plus d'un article de Libération, France Info "radio officielle"

Manifestation contre la réforme des retraites, le 14 janvier 2020 à Montauban (Tarn-et-Garonne).
Manifestation contre la réforme des retraites, le 14 janvier 2020 à Montauban (Tarn-et-Garonne). (PATRICIA HUCHOT-BOISSIER / HANS LUCAS)

La plupart des syndicats ont appelé à une septième manifestation nationale pour s'opposer à la réforme des retraites, vendredi 24 janvier. Mais du côté de la CFDT, premier syndicat français, c'est le silence radio. Dans la matinée, le gouvernement présente son projet de loi de réforme des retraites, sans la notion d'âge pivot de 64 ans, en Conseil des ministres. Un retrait provisoire annoncé le 11 janvier par le Premier ministre Edouard Philippe et salué comme "une victoire pour tous les salariés" par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, dès le lendemain.

Depuis le début de l'année, 5 000 adhérents ont quitté le syndicat, selon les chiffres de la CFDT. A l'instar de Sophie*, Michel et Christophe, cette réaction du dirigeant a poussé certains de ces démissionnaires à prendre cette décision.

"Berger n'est pas honnête intellectuellement"

"CFDT et gouvernement, même combat. Je vais rendre ma carte", condamne ainsi Franc. Que ce soit sur Twitter ou Facebook, il fait partie de ceux qui ont décidé de partager leur décision de quitter la CFDT, qui revendique 621 274 adhérents sur l'année 2018.  

"Moi dès lundi c'est fait. Je quitte ces collabos", renchérit Biker Lco. 

Même colère chez Raoul : "La CFDT tourne sa veste ! Comme d'habitude. Je rends ma carte."  

De l'intention jusqu'à l'action, Christine a fait le pas. 

Une décision partagée par Michel, 63 ans, syndicaliste dans l'"âme" : "Laurent Berger n'est pas honnête intellectuellement." Cet ancien cégétiste est arrivé à la CFDT "par défaut". Il n'a jamais été favorable aux positions d'un syndicat réformiste comme la CFDT : pour lui, le "on négocie d'abord puis on manifeste après" n'a jamais permis d'obtenir d'avancées sociales. Or c'était la seule section présente au sein de son entreprise, qui "faisait du bon boulot en local", reconnaît le Nancéen. Mais aujourd'hui la méthode Berger ne passe plus.

Il se positionne comme un sauveur avec le soi-disant retrait de l'âge pivot. Mais il ne s'est pas du tout impliqué dans le mouvement. Depuis le début, il manipule les foules.Michel, ancien adhérent CFDTà franceinfo

Ce futur retraité ne pensait pas que son message annonçant qu'il rendait sa carte de la CFDT, publié le 11 janvier 2020 sur Twitter, remporterait un tel succès. 

Partagé plus de 3 000 fois, il a récolté 6 700 mentions "J'aime". "Cela prouve que le problème du syndicalisme est un sujet assez chaud visiblement", analyse le sexagénaire.

Christophe, 53 ans, explique lui que c'est le gouvernement qui l'a amené à quitter la CFDT. Ce professeur d'EPS dans un collège privé en Mayenne est arrivé tardivement dans le débat syndical local, en prenant sa carte à la CFDT il y a quatre ans. Aujourd'hui, il considère que ce syndicat est "inefficace."

Ils n'écoutent pas leur base. Et face à un gouvernement qui n'a peur de rien, ils ne sont plus capables de défendre les adhérents. Ils ne font pas peur et n'obtiennent rien.Christophe, ancien adhérent CFDTà franceinfo

Le procès est sans appel pour Christophe, qui affirme qu'il n'y a plus "hélas que la violence" pour se faire entendre du gouvernement. Même s'il dit ne pas cautionner les méthodes des "gilets jaunes", le professeur estime que "par l'usage de la force, ils ont réussi à obtenir des choses du gouvernement, contrairement aux syndicats". 

Si Michel et Christophe ont résilié leur adhésion par courrier, Sophie*, 45 ans, a préféré se rendre à la permanence locale. Elle a pu ainsi expliquer les raisons de son départ après six années d'adhésion et échanger avec un spécialiste des retraites. "J'ai été trés surprise car il utilisait les mêmes techniques que le gouvernement, en avançant des informations partielles et biaisées. Ils justifient leur soutien à cette réforme par le fait que cela va aider les bas salaires. C'est un argument fallacieux", avance Sophie, confortée dans son choix de quitter ce syndicat. "La direction ne défend pas le plus grand nombre de salariés", estime-t-elle.

"Il n'y a pas d'hémorragie"(dixit la direction Ndlr Huma Lann)

Au siège de la CFDT, on reconnaît des démissions quotidiennes mais sans une once d'inquiétude.

Il n'y a pas d'hémorragie de nos adhérents. Les derniers faits n'ont pas accéléré le processus naturel des départs.Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDTà franceinfo

"Cela n'a rien à voir avec 2003", relativise l'actuelle secrétaire nationale, déjà présente à l'époque. Le syndicat avait alors essuyé un grand nombre de départs, à l'issue de la négociation de la réforme des retraites sous l'ère Nicole Notat, alors secrétaire générale du syndicat. "Ici il n'y a pas ce phénomène massif", relativise Béatrice Lestic.

Chiffres à l'appui, la syndicaliste voit dans ces départs une cohérence avec le taux de départs annuels et réguliers, qui est habituellement de 10%. En 2019, 63 000 adhérents ont rendu leur carte. Parmi ces départs, 2 000 ont été motivés par un désaccord avec la ligne du syndicat au niveau national. Depuis le 1er janvier, sur les 5 000 départs enregistrés, ils sont 600, comme Michel, Christophe et Sophie, à être partis à la suite des prises de position de Laurent Berger. "Ce qui est autant que l'année dernière à la même époque", affirme la secrétaire nationale. Avant d'assurer que le syndicat a récolté, dans le même temps, 700 adhésions en ligne.

Du côté des adhérents "déçus", Christophe et Michel affirment continuer la lutte en "électrons libres" sur les réseaux sociaux. Quant à Sophie, dont la défiance vis-à-vis de la CFDT a "radicalisé son point de vue", elle devait défiler à Paris ce vendredi. 

* le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée. 

 

 

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