Coronavirus: le retour! Le cul dans les ronces dans libé
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https://www.liberation.fr/france/2020/08/17/le-cul-dans-les-ronces_1796988
Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour «Libération», il tient la chronique d'une société suspendue à l'évolution du coronavirus.
Et donc elle fut remerciée par un maroquin. C’était après sa sortie lunaire devant la commission Covid de l’Assemblée nationale. Elle vomissait contre les médecins coupables de n’avoir pas stocké de masques tandis que les divers ministres de la Santé qui se sont succédé après elle avaient laissé disparaître le stock pandémique national. Aujourd’hui, la même Roselyne Bachelot autorise le Puy du Fou à agglutiner 9 000 personnes, en totale contradiction avec les recommandations gouvernementales. C’est pas comme si la ministre de la Culture n’avait jamais été ministre de la Santé.
On n’a pas le cul sorti des ronces… Depuis le début de la pandémie, la population française est confrontée à des injonctions contradictoires entraînant chez les uns un état de sidération, chez d’autres des craintes irraisonnées, ou au contraire une défiance envers toute mesure officielle de sécurité sanitaire. «Fermez les écoles… mais allez voter», «ne mettez pas de masque… mettre un masque est obligatoire», «les masques sont réservés aux soignants… il n’y a pas de masques pour tous les soignants», «mettez un masque et gardez vos distances… laissez-moi prendre un bain de foule à visage découvert
Journal d’épidémie précédentBons baisers de Guyane (avec un masque)
Et à chaque fois que l’épidémie progresse, des experts, très souvent responsables de la situation actuelle, viennent morigéner les Français, et les menacer de nouvelles restrictions, justifiées par leur «coupable relâchement».
En face, des virologues en chemise blanche y vont de leur placement de produit. Ainsi Bernard-Henri Lévy tweete-t-il, le 12 août : «Obscène jubilation à enregistrer le "progrès" du nombre des "clusters". Comme s’il s’agissait d’une "performance"», avant de rappeler le titre de son dernier opus. Il contribue, avec Ivan Rioufol et André Bercoff, à semer le doute et à fustiger une prétendue dictature médicale quand nous, médecins, tentons simplement depuis le début de tenir la ligne. Sortons-nous de notre rôle en nous adressant directement à la population et au gouvernement, sur les réseaux sociaux, ou au travers des deux tribunes sur le port des masques que nous avons publiées dans Libération ? La nature, paraît-il, a horreur du vide, et si nous prenons la parole, c’est parce que nous sommes, comme vous, confrontés au vide sidérant de la pensée gouvernementale.
Aujourd’hui, plusieurs mois après le début des hostilités, nous sommes toujours confrontés au mensonge originel d’Olivier Véran, notre ministre de tutelle, celui qui aurait dû être notre capitaine, s’il fallait adopter le vocabulaire martial d’Emmanuel Macron. Mais si c’est une guerre, ce que nous vivons depuis le début fait penser à 14-18, avec la piétaille envoyée au combat. Sans équipement, avec des chefs de guerre incompétents promus à des postes honorifiques après chaque échec. Le pantalon rouge garance des sacrifiés de 1914, ce sont ces généralistes envoyés au charbon les premières semaines de l’épidémie : sans masque. Prêts à se faire canarder.
Lorsqu’il reprend le ministère le 16 février alors qu’Agnès Buzyn se laisse convaincre de viser la mairie de Paris, Olivier Véran demande un audit. Il comprend très rapidement qu’il n’existe plus de stock pandémique de masques pour protéger la population et les soignants. Combien de temps lui faut-il pour comprendre que Jérôme Salomon, son propre directeur général de la santé, cale depuis près d’un an son bureau avec un rapport de 70 pages commandé trois ans auparavant par Santé publique France à des experts, qui, confrontés à la disparition progressive du stock de
masques, écrivaient noir sur blanc : «La constitution d’un stock devrait être considérée comme le paiement d’une assurance, que l’on souhaite, malgré la dépense, ne jamais avoir besoin d’utiliser. Sa constitution ne saurait ainsi être assimilée à une dépense indue… En cas de pandémie, le besoin en masques est d’une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30% de la population.» Il est alors confronté à un choix crucial : dire la vérité à la population et aux soignants, en expliquant qu’il va falloir affronter la pandémie tout en gérant une pénurie liée au dogme économiste du moindre coût… ou mentir et gagner du temps. Il opta pour la seconde solution.
Erreur commune des politiques plus préoccupés par le court que le long terme. Véran va perdre définitivement la confiance des soignants de première ligne lorsque ceux-ci vont se rendre compte de la supercherie. Il aggravera son cas en «saluant» le premier décès d’un médecin par la désormais fameuse réplique orwellienne : «La plupart des soignants contractent le virus en dehors de l’hôpital.»
Tout a découlé de ce mensonge initial. Les déclarations abracadabrantesques de la DGS annonçant chaque semaine des livraisons de masques virtuelles aux soignants, le refus de recommander leur port en population générale, puis l’invention d’un «changement de doctrine scientifique» à ce sujet au niveau international, alors même que de nombreux médecins français conseillaient à la population de coudre des masques dès la fin mars.
Ce fut la raison de la première tribune publiée mi-Juillet dans Libération par un collectif de professionnels de santé, arguant de l’existence d’une contamination par aérosolisation pour inciter les pouvoirs publics à imposer le masque en lieu clos. Dans la foulée, Emmanuel Macron annonçait cette mesure dans les espaces recevant du public… avec effet au 1er août, afin de donner au coronavirus deux semaines d’avance. La start-up nation est fair-play. L’incongruité de cette annonce l’obligea à raccourcir ce délai. Dans les jours qui suivirent, les signataires furent contactés par de nombreux employés inquiets que rien ne soit prévu sur les lieux de travail, en open space, ou dans des bureaux mal aérés, dans lesquels les plus vulnérables, ou les plus conscients du risque, se heurtaient au laxisme de leurs collègues ou de leur direction.
Pire encore, nous fûmes aussi contactés par des fonctionnaires travaillant dans les ministères centraux, à Paris, que l’on avait tous forcé à revenir à 100% en présentiel, «pour montrer l’exemple». Il fallut donc rédiger une seconde tribune pour rappeler que le virus ne se comporte pas différemment dans une supérette que dans un atelier, dans un musée que dans un amphithéâtre de faculté. Et entendre enfin le gouvernement annoncer une réflexion sur le port du masque sur les lieux de travail, et la prolongation du télétravail. Tout ceci me ramène à Roselyne Bachelot : «Qu’est-ce que c’est que ce pays infantilisé ? Il faut quand même se prendre un peu en main. C’est ça la leçon qu’il faut tirer. Tant qu’on attendra tout du seigneur du château, on est mal !» Mais Roselyne… en dehors de Philippe de Villiers et de Bruno Retailleau, cela fait longtemps que les Français n’attendent plus rien du seigneur du château, ni de ceux qui nous gouvernent, s’auto-congratulent et se refilent les postes. Et ça, c’est la prochaine crise que vous devrez affronter. Sans nous.