Petit point sur les vaccins anti Covid
Les chaine de TV et divers des déversent des infos incomplètes sur les vaccins sur fond de spéculations et autres carambouilles.
Un article du "Monde" semble faire exception:
Pour nos journalistes Chloé Aeberhardt et Chloé Hecketsweiler, qui ont répondu à vos questions lors d’un tchat, le vaccin sera coûteux, car les conditions de conservation sont très contraignantes.
Alors que le nombre de morts du Covid-19 s’élève à plus de 1,25 million de personnes dans le monde et que les couvre-feux et autres reconfinements se multiplient à travers la planète, le géant américain Pfizer et son partenaire allemand BioNTech ont annoncé, lundi 9 novembre, que leur candidat-vaccin était efficace à plus de 90 %. Mercredi, la Russie a annoncé 92 % d’efficacité pour son vaccin expérimental Spoutnik V.
47 vaccins
Dans son dernier point, le 3 novembre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense 47 « candidats vaccins » évalués dans des essais cliniques sur l’homme à travers le monde.
En quoi ces annonces sont-elles prometteuses ? Nos journalistes Chloé Aeberhardt et Chloé Hecketsweiler ont répondu aux questions lors d’un tchat.
Chloé Aeberhardt : Le laboratoire russe a choisi de publier ses résultats intermédiaires de phase III après seulement vingt infections. Ils ont administré le vaccin ou un placebo à 16 000 volontaires, qui ont ensuite repris leur vie normale. Une fois que vingt cas d’infection au Covid ont été constatés, ils ont regardé qui, parmi ces volontaires, avaient reçu le vaccin et qui avaient reçu le placebo. C’est ainsi qu’ils ont obtenu le score de 92 % d’efficacité. C’est un résultat précoce, dans la mesure où vingt cas, c’est peu…
En comparaison, Pfizer a publié ses résultats après 94 cas d’infection et publiera des résultats complémentaires à 164 cas. Ce sera intéressant, alors, de voir si le score est toujours de 90 %.
Chloé Hecketsweiler : Le PDG de Pfizer a, en effet, vendu pour 5,6 millions de dollars (4,7 millions d’euros) d’actions juste après l’annonce des résultats d’efficacité de son vaccin. La compagnie assure que cette vente était prévue dans le cadre d’un « plan » fixé plusieurs mois à l’avance, mais beaucoup s’interrogent aux Etats-Unis sur les informations dont disposaient les dirigeants de Pfizer au moment où ce plan a été mis en place au mois d’août.
Le bénéfice ainsi empoché apparaît aussi approprié à certains, compte tenu des sommes colossales investies par le gouvernement américain dans le développement du vaccin.
D’autres sociétés, dont Moderna, font l’objet des mêmes critiques : son PDG ainsi que plusieurs de ses dirigeants ont déjà vendu pour plusieurs dizaines de milliers de dollars d’actions.
C. A. : Absolument. Ce vaccin, s’il est mis sur le marché, sera le premier vaccin à ARN messager approuvé pour l’homme. Or, l’ARN est une molécule instable qui nécessite d’être conservée dans un environnement très froid. Il faut des congélateurs spécifiques et très onéreux et ni les médecins de ville ni les pharmacies de quartier n’en sont équipés.
C’est également un vaccin coûteux : aux Etats-Unis, le prix actuellement en discussions avec le gouvernement américain est établi à 19,50 dollars (16,51 euros) par dose de vaccin. Soit 39 dollars (33 euros), en supposant l’approbation par les autorités réglementaires du schéma vaccinal à deux doses de vaccin par patient.
Pour ces deux raisons, le vaccin Pfizer ne semble pas adapté à une vaccination de masse, ni dans les pays développés ni, a fortiori, dans les pays en développement.
Le point sur la recherche : Quand peut-on espérer avoir un vaccin ? Qui sera prioritaire ?
C. H. : Sanofi développe deux vaccins différents : l’un à partir d’ARN messager, comme celui de Pfizer ou Moderna, l’autre en utilisant une technologie déjà employée pour l’un de ses vaccins contre la grippe, commercialisé sous la marque FluBlock aux Etats-Unis.
Ce dernier est le plus avancé : la phase III — la dernière avant la commercialisation, qui inclut plusieurs milliers de patients — devrait commencer en décembre avec des résultats attendus au début de 2021.
Les Etats-Unis ont conclu un contrat pour l’achat de 100 millions de doses, et l’Europe pour 200 millions de doses.
C. H. : L’Institut Pasteur a aussi plusieurs vaccins en développement. Le plus avancé est un vaccin construit à partir du vaccin contre la rougeole modifié pour exprimer un des antigènes du SARS-CoV-2 : la protéine Spike, qui est la clé du virus pour entrer dans nos cellules.
L’Institut Pasteur a conclu un accord avec le grand groupe pharmaceutique américain Merck pour développer ce vaccin. Les essais cliniques ont démarré en août, mais le vaccin ne verra pas le jour avant au moins un an.
Le vaccin d’AstraZeneca est un des plus avancés. Il utilise comme vecteur non pas le virus de la rougeole, mais un virus à l’origine de banals rhumes. Un essai clinique a été lancé au mois de mai et les résultats de phase III portant sur une cohorte de 30 000 personnes sont attendus pour le mois de décembre.
Il n’y a pas d’autres vaccins européens en phase III.
C. A. : Au niveau européen, l’organisme réglementaire s’appelle l’Agence européenne du médicament. Il prend en compte sensiblement les mêmes critères d’efficacité et de sécurité que la Food and Drug Administration (FDA), donc on peut raisonnablement penser que, si le vaccin est autorisé par la FDA, il le sera aussi par l’Agence européenne.
C. H. : La France a nommé récemment un « M. Vaccin » pour piloter le déploiement des vaccins contre le Covid-19. Nous avons interrogé le ministère de la santé sur son « plan » pour déployer les différents vaccins, mais nous n’avons pas encore eu de réponse. La question de la logistique est très importante, car certains vaccins doivent être conservés et transportés dans des conditions très spécifiques pour garantir leur stabilité.
C. H. : La France n’a pas encore communiqué de calendrier pour une campagne de vaccination, mais le premier ministre, Jean Castex, a déjà averti qu’il n’était « pas pour demain matin ». Le ministre de la santé, Olivier Véran, a dit espérer un vaccin pour 2021, mais sans s’avancer sur une date.
La Haute Autorité de santé a proposé plusieurs scénarios de vaccination au mois de juillet : dans tous les cas de figure, les professionnels de santé faisaient partie des cibles prioritaires. Elle a lancé, le 9 novembre, une consultation publique sur ses premières recommandations afin de recueillir des opinions et des avis complémentaires.
C. A. : Le critère d’évaluation principal choisi par Pfizer et BioNTech de l’efficacité de leur vaccin est la diminution des symptômes liés au Covid-19, et non la transmission. Ce que regrettent un certain nombre de chercheurs en santé publique, pour qui ce critère n’est pas satisfaisant, dans la mesure où, s’il protège l’individu vacciné de l’apparition de symptômes, il ne protège pas la population générale.
C. A. : La technique de l’ARN messager (choisie par Pfizer et BioNTech) consiste à injecter dans l’organisme des brins d’instruction génétique, qui diront aux cellules ce qu’il faut fabriquer – en l’occurrence un antigène spécifique du coronavirus, contre lequel le système immunitaire produira des anticorps.
Cette méthode présente un avantage-clé dans le contexte d’urgence actuel : elle permet de produire des vaccins très rapidement, l’organisme prenant en charge une partie du travail habituellement réalisé en laboratoire.
Le choix de cette technique explique, en partie, l’avance de Pfizer-BioNTech et Moderna (qui devrait présenter des résultats intermédiaires très prochainement) sur les autres fabricants en essais de phase III.
C. H. : Il est possible d’anticiper certains effets secondaires en utilisant des modèles animaux, mais cela a, bien sûr, des limites. La phase III des essais cliniques — qui compte plusieurs dizaines de milliers de patients – permet de détecter une grande partie des effets indésirables qui apparaissent au plus tard quelques semaines après la vaccination. Si les plus tardifs apparaissent. Mais il faudra des mois, voire des années pour les évaluer. Il est aussi possible que des effets indésirables rares, indétectables lors des essais cliniques, apparaissent une fois que des millions de personnes auront été vaccinées.
La question pour la société est : quel est le bénéfice apporté par les vaccins (avec la réduction de la mortalité liée au Covid, la diminution des cas graves) versus le risque potentiel de la vaccination (avec l’apparition chez certains individus d’effets secondaires parfois graves) ?
C. A. : On peut estimer que l’interruption des essais cliniques d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson à la suite de l’apparition de maladies inexpliquées chez certains volontaires est rassurante. Cela indique que, malgré l’urgence dans laquelle se déroule la recherche, les mesures de sécurité habituelles sont respectées.
Après, il faudra sans doute appliquer une pharmacovigilance renforcée pendant et après la campagne de vaccination, de façon à identifier des effets indésirables qui n’auraient pas été remarqués pendant les essais cliniques.
C. A. : La question à laquelle la société sera amenée à répondre est celle du bénéfice-risque. C’est une question complexe, à laquelle il est difficile de répondre de façon binaire. Surtout aujourd’hui, alors que nous disposons d’aussi peu de données, y compris sur le vaccin de Pfizer. Et de quel vaccin parle-t-on ? Car il risque d’y en avoir plusieurs, dont certains seront plus indiqués pour tel ou tel type de population (les personnes âgées, notamment).
Finalement, tout dépendra de la performance des vaccins disponibles et du bénéfice rendu, qui lui-même dépend du profil des individus (une personne à risques aura plus de bénéfice à se faire vacciner qu’un jeune en bonne santé). C’est pourquoi nous sommes très impatients de connaître la stratégie vaccinale qui sera choisie par le gouvernement.
Dans un premier temps, il est possible que le vaccin soit réservé aux soignants et aux personnes à risques, ce qui éviterait aux sceptiques d’avoir à faire un choix !
C. H. : Il est encore trop tôt pour déterminer la durée de la protection offerte par le vaccin. Il peut être efficace à 90 % après quelques semaines… mais bien moins après plusieurs mois. Les laboratoires sont très prudents sur ce sujet et reconnaissent qu’il faudra plusieurs mois, voire plusieurs années pour être fixés. Il n’est pas exclu que la protection soit de courte durée, au moins chez certains individus.
C. H. : Les vaccins ARN ou les vaccins qui utilisent des vecteurs génétiquement modifiés ne constituent pas « une première ». Les deux vaccins contre Ebola qui ont obtenu une autorisation de mise sur le marché utilisent des vecteurs identiques : le virus de la stomatite vésiculaire (VSV) pour celui de Merck et un adénovirus pour celui de Johnson & Johnson.
Par ailleurs, plusieurs milliers de personnes ont déjà été vaccinées avec différents vaccins à ARN dans le cadre d’essais cliniques pour d’autres infections, dont la grippe saisonnière.
Il s’agit de populations limitées à l’échelle de ce qui est requis pour une autorisation de mise sur le marché, mais cela a permis d’écarter certains risques.