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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

 

 
LE MAGAZINE RUSSE « EKSPERT », QUI EST L’HEBDOMADAIRE DE REFERENCE EN RUSSIE, PUBLIE CE LUNDI 22 FEVRIER UN ARTICLE DE VOTRE SERVITEUR SUR LE DEBAT ACTUEL CONCERNANT L’ANNULATION D’UNE PARTIE DES DETTES SOUVERAINES.
CE DEBAT, ON LE SAIT, A PRIS UNE RESONNANCE PATICLIERE EN FRANCE MAIS AUSSI EN EUROPE. UN APPEL INTERNATIONAL A ETE PUBLIE, AUQUEL JE NE ME SUIS PAS ASSOCIE. NOMBREUX ONT ETE CEUX QUI SE SONT DEMANDE POURQUOI ; ILS TROUVERONT, DANS CE TEXTE, UNE PARTIE DES REPONSES.
UNE GRANDE PARTIE DE MES LECTEURS NE LISANT PAS LE RUSSE (CE QUE JE DEPLORE…), JE PUBLIE ICI LA TRADUCTION EN FRANÇAIS DE CE TEXTE.
 
Depuis les premiers jours de l’année 2021 se développe un débat sur l’annulation de ce que l’on appelle la « dette-Covid ». À l’initiative de Nicolas Dufrêne, haut fonctionnaire et directeur de l’Institut Rousseau, plus de 100 économistes, dont Thomas Piketty mais aussi l’économiste australien spécialiste de la monnaie, Steve Keen, ou encore l’ancien ministre belge Paul Magnette, ont lancé le 5 février un appel à l’annulation de cette dette dans plusieurs journaux européen (1). Ce débat, qui concerne les dettes détenues par la Banque centrale européenne (BCE) au titre du PEPP (Pandemy Emergency Purchasing Program), connaît donc un fort retentissement que ce soit en France ou en Italie, au Luxembourg et en Belgique. Il a lieu alors que l’Union européenne et la Zone Euro ont été très affectées par la crise sanitaire et doivent faire face à une véritable envolée des dettes publiques. Il s‘invite dans les couloirs des institutions européennes, auprès des représentants de la BCE elle-même et des différents ministères des finances de la zone euro. Il a imposé à Mme Christine Lagarde une déclaration très ferme fermant en apparence la porte à une telle initiative.
LES RAISONS DE CETTE INITIATIVE
Pourquoi cette initiative ? Car, une annulation des dettes, comme un défaut, peut être une expérience traumatisante pour la population. La Russie a l’expérience de la crise d’août 1998. Les signataires de l’appel partent du constat que la BCE détient environ 25% du total des dettes publiques dans la zone Euro. Ils en déduisent que : « Nous nous devons à nous-même 25 % de notre dette et si nous remboursons cette somme, nous devrons la trouver ailleurs, soit en réempruntant pour faire rouler la dette au lieu d’emprunter pour investir, soit en augmentant les impôts soit en baissant les dépenses ». C’est entièrement exact. Une annulation de la dette détenue par la Banque Centrale est effectivement bien plus simple. On comprend aussi que les signataires craignent que le poids des dettes accumulées n’oblige les pays de la zone Euro, tout comme après la crise de 2008-2010 d’ailleurs, d’entrer dans une logique d’austérité dès la fin de la crise sanitaire. La menace est bien réelle et l’on peut partager leurs craintes. En France, mais aussi dans d’autres pays, le Ministre des Finances ne cesse de répéter qu’une dette doit être remboursée. Ils ajoutent alors : « En tant qu’économistes, responsables et citoyens engagés de différents pays, il est de notre devoir d’alerter sur le fait que la BCE pourrait aujourd’hui offrir aux États européens les moyens de leur reconstruction écologique, mais aussi de réparer la casse sociale, économique et culturelle, après la terrible crise sanitaire que nous traversons ». Ce que craignent donc les signataires de l’appel, et non sans raisons, c’est que le poids des actes nécessaires durant la pandémie n’empêche de prendre les bonnes décisions pour l’avenir. Mais, cela doit-il passer obligatoirement par une annulation d’une partie de la dette ? Les auteurs se disent conscients qu’une telle décision n’aurait rien d’anodin. Après avoir affirmés, sans doute un peu vite, que rien, dans les traités, n’interdit une telle action, ces mêmes auteurs envisagent ensuite la transformation de cette dette en dette perpétuelle sans intérêts. Mais n’est-ce pas déjà en partie le cas, avec la chute historique des taux d’intérêts organisée par les Banques Centrales ? Aujourd’hui, même un pays comme l’Italie peut s’endetter à un coût quasi-nul. La France emprunte à taux négatif. En quoi leur appel apporterait-il une modification substantielle à cette situation ?
Les signataires de l’appel invitent alors la BCE à passer un « pacte » avec les Etats pour que se mette en place une véritable politique d’investissement. Mais, ils sont aussi conscients que ce qu’ils proposent sur la dette ne suffira pas. Ils l’écrivent d’ailleurs : « (…) d’autres mesures doivent être prises en matière de réforme des critères de dette et de déficit, de protectionnisme écologique et solidaire, de réformes fiscales visant à réduire le niveau des inégalités et à changer les comportements, d’impulsion donnée aux banques publiques d’investissement et de réforme des règles relatives aux aides d’État ».
 
LA REACTION DE CHRISTINE LAGARDE
Le lendemain de la publication de cet appel, Mme Christine Lagarde, la présidente de la BCE, répliquait que "l'annulation de la dette est inenvisageable", car elle violerait le traité européen. Elle a très certainement raison.
On sait que la Présidence de la Banque Centrale doit tenir compte du conseil des gouverneurs. On voit mal Mme Lagarde prendre une décision à laquelle pourrait fermement s’opposer plusieurs gouverneurs. Même les décisions, à l’époque contestées, de Mario Draghi, pouvaient s’appuyer en leur temps sur l’absence d’une opposition ouverte à l’intérieur du Conseil des gouverneurs. Par ailleurs, la Banque Centrale Européenne est toujours sous la surveillance du tribunal constitutionnel allemand, la Cour de Karlsruhe. On voit mal la Présidente de la BCE provoquer une crise ouverte entre son institution et l’Allemagne.
Mais, dire qu’elle s’oppose, et qu’elle s’opposera certainement dans le futur, à une annulation partielle de la dette n’implique pas nécessairement qu’elle s’oppose à la transformation implicite d’une partie de la dette en dette perpétuelle ou à tout le moins à très long terme. Rappelons que, du temps où Mme Lagarde était la dirigeante du FMI, elle avait soutenu, dans le cadre de ce que l’on appelle la « troïka » le principe d’une annulation partielle de la dette Grecque. Les positions personnelles de Mme Lagarde ne sont donc pas nécessairement opposées à des solutions innovantes. D’ailleurs, ce serait l’évolution logique de la politique actuelle de la BCE, qui va actuellement du PEPP à la politique des taux d’intérêt négatifs.
Alors, pourquoi les signataires de l’appel l’ont-ils donc rédigé ? Très certainement dans l’espoir d’obtenir une forme d’engagement institutionnel, afin d’être sur que la question de la dette ne devienne pas un argument décisif pour imposer à nouveau des politiques d’austérité aux pays de la zone Euro. Et l’on peut naturellement comprendre, et même partager, la crainte implicite des signataires. Qu’une fois l’urgence de la pandémie de la Covid-19 passée, un consensus conservateur de revienne en force à la BCE et à la Commission européenne. Un tel engagement institutionnel est nécessaire. Mais, un tel engagement est il concevable aujourd’hui dans le contexte des traités ? De cela, on peut très sérieusement en douter.
 
UNE QUESTION DE FORME
La question doit donc être posée pourquoi les signataires de l’appel cherchent-ils à tout prix à présenter leur position comme compatible avec les traités, alors qu’elle ne l’est pas, à l’évidence ? On peut sentir, à lire leur texte qu’ils en sont certainement conscients. Ils argumentent en effet sur les écarts grandissants entre la politique de la BCE, voire de la Commission, et le texte des traités. Ils affirment ainsi : « En cette matière, seule la volonté politique compte : l’histoire nous a maintes fois montré que les difficultés juridiques s’effacent devant les accords politiques ». Qui espèrent-ils donc convaincre avec ce genre d’arguments ? Car, de deux choses l’une : soit leur appel se situe explicitement dans le cadre des traités européens, et cette déclaration est inutile, voire contre-productive. Soit, leur appel est un appel à une rupture fondamentale avec les traités. En ce cas, une grande partie des précautions oratoires qui émaillent l’appel sont parfaitement inutiles.
Alors, et même si on partage largement les objectifs des signataires, on ne peut être que très surpris par la manière dont ils s’avancent, avec un pied à l’intérieur des traités et un pied hors de ces mêmes traités. Bien entendu, on comprend que l’on ne réunit pas une centaine d’économistes sur un même texte sans faire des compromis. Mais, ces compromis n’ont-ils pas rendus l’appel en fait politiquement illisible ? On peut ici le craindre.
 
UNE QUESTION DE FOND
Sur le fond, la question qui est en réalité posée n’est pas celle de l’annulation d’une partie de cette dette, mais de la monétisation de cette dette. Car, si disons 20% de la dette actuelle étaient annulés, rapidement les besoins en investissements seraient tels qu’il faudrait recommencer. Hors, on ne peut répéter régulièrement une telle opération, et cela les signataires de l’appel l’admettent eux-mêmes. Par contre, si l’on monétise une partie de la dette, cette opération peut être régulièrement répétée tant que le besoin s’en fait sentir.
Cette monétisation, il convient de le rappeler, a été historiquement la solution adoptée dans les années d’après-guerre quand les pays européens étaient confrontés à des besoins en investissements très importants pour la reconstruction et la modernisation de leurs économies. Cette possibilité de vendre directement à la Banque Centrale une partie des Bons du Trésor émis pour financer ces investissements a été décisive pour des pays comme la France, l’Italie, la Belgique et le Royaume-Uni. Cela a permis à ces pays de financer à des coûts très faibles leurs investissements publics, qui ont été les fondements sur lesquels la forte croissance des années 1950 et 1960, en particulier en France et en Italie, fut bâtie. Cette politique d’ailleurs renait de nos jours, que ce soit au Royaume-Uni, où la Banque of England va acheter directement des titres du Trésor, ou au Japon.
Mais, une telle politique implique en réalité que la politique monétaire soit intégrée dans la politique budgétaire de l’Etat, cette dernière étant par ailleurs mis au service d’une stratégie de développement et de modernisation conduite par ces Etats. A l’époque, les gouverneurs des Banques Centrales étaient de simples exécutants sous l’ordre du Trésor. La monnaie comme institution, mais aussi les institutions monétaires, étaient conçues en fonction de cette stratégie de croissance.
Or, la théorie de « l’indépendance des Banques Centrales », théorie qui est la pierre angulaire de la zone Euro, vise explicitement à casser cette dépendance de la politique monétaire à la politique budgétaire. Cette théorie repose sur l’idée que la monnaie, et la politique monétaire, ne saurait être un instrument de la politique économique mais constitue en réalité une norme dont la stabilité assure le bon développement de l’économie et que cette norme doit être préservée de toute interférence politique. La garantie de cette norme repose justement sur le fait que la Banque Centrale soit indépendante et que les gouvernements ne puissent lui dicter ni ses objectifs ni sa politique. C’est l’acceptation de cette idée qui a permis l’émergence concrète de la monnaie unique. Si la monnaie était effectivement une norme, et si les Banques Centrales dans chacun des pays étaient effectivement indépendantes, rien ne s’opposait à ce que les Banques Centrales fusionnent en une Banque Centrale Européenne.
 
QUELLE COHERENCE ?
Qu’ils le veuillent ou non, les signataires de l’appel pour une annulation des dettes sont en réalité sur une trajectoire qui est contradictoire avec l’existence de la BCE et avec celle de l’Euro. Certains d’entre eux l’ont parfaitement compris. Mais, ils croient qu’ils peuvent encore ruser avec cette réalité, une réalité qu’ils se refusent d’affronter de face. Et c’est bien là le problème.
Ils croient qu’une modification des règles de la « gouvernance européenne » règlerait les problèmes sans voir que c’est l’idée même qu’une norme unique puisse traiter les problèmes de pays aux structures économiques, sociales et politiques différentes qui est erronée. Souvenons nous de la phrase de Bossuet : « Dieu se rit des prières qu'on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s'oppose pas à ce qui se fait pour les attirer» (2) . Elle pourrait s’appliquer aux auteurs de cet appel.
NOTES :
2- Bossuet J.B., Œuvres complètes de Bossuet, vol XIV, éd. L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145. Cette citation est connue dans sa forme courte « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes ».
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