Philippe Klein, médecin français à Wuhan : "La Chine a stoppé le virus, la France a raté son déconfinement"
https://www.lechorepublicain.fr/paris-75000/sante/philippe-klein-medecin-francais-a-wuhan-la-chine-a-stoppe-le-virus-la-france-a-rate-son-deconfinement_13854039
2.500 morts officiellement, dix fois plus selon des estimations faites par des médias indépendants et un régime de confinement et de mise en quarantaine le plus rigoureux au monde : 73 jours au total.
La métropole industrielle de Wuhan, 11 millions d’habitants, au bord du fleuve Yang-Tsé, a été le berceau du virus Covid-19 et a focalisé l’attention durant les premières semaines de l’épidémie.
Aujourd’hui, Wuhan, qui a été déconfinée en avril, est devenue la vitrine d’une Chine sûre au plan sanitaire et sûre d’elle-même, qui affiche sa victoire sur l’épidémie alors que le reste du monde, et notamment l’Occident, ne parvient pas à s’en défaire.
Le Dr Philippe Klein, originaire de Metz, est installé depuis sept ans avec sa famille à Wuhan où il dirige une clinique privée. S’il a pu faire rapatrier ses proches au mois de février, Philippe Klein est resté à son poste durant tout le confinement, ce qui lui a valu d’être décoré par les autorités chinoises.
La découverte ce week-end de six cas de contamination à Qingdao a déclenché un dépistage massif des 9 millions d’habitants. Le virus réapparaît-il en Chine ?
"Les Chinois se sont servis du testing massif pour restaurer la confiance dans la population."
Tous les cas d’infection que nous avons eus en Chine ces dernières semaines sont des cas importés. Il y a eu au départ des mesures extraordinaires pour arrêter l’épidemie suivies d’un contrôle aux frontières extrêmement strict afin d’éviter que le virus ne revienne.
On l’a vécu à Wuhan où nous avons été déconfinés le 8 avril : ce n’est pas pour autant que les gens ressortaient dans la rue car les Chinois avaient peur. Il a fallu que les autorités chinoises réalisent un dépistage massif sur 11 millions de Wuhanais à la fin du mois de mai en 15 jours pour prouver à la population qu’on était passé largement en dessous du seuil épidémique. Et effectivement, il n’y avait plus que 600 cas pour 11 millions d’habitants. Et c’est seulement à ce moment-là que les Wuhanais sont ressortis et que l’activité économique a redémarré.
La même méthodologie est reproduite quand des cas sont détectés dans une ville. Les Chinois dépistent massivement et l’effet est plus psychologique que lié au risque de seconde vague.
On a toujours un peu de mal à comprendre comment un pays de plus d’un milliard d’habitants a réussi à quasiment éradiquer le virus.
Le confinement, c’est facile. On bloque tout et on arrête le brassage de population et donc la contamination.
"Ce qu’ont le mieux réussi les Chinois c’est la phase de déconfinement : elle doit être longue, sous surveillance, être très encadrée avec des moyens de distanciation, le masque, le lavage des mains, l’intelligence artificielle à grande échelle et puis le testing. C’est-ce que nous avons échoué à reproduire en Occident."
En France, le déconfinement a été raté. Le virus a toujours été là. Et durant l’été, il y a eu cette population jeune qui l’a disséminé sur l’ensemble du territoire. Ca avait été bien géré au mois de mars, là, ça va être beaucoup plus compliqué.
Vous avez parlé au président Emmanuel Macron fin mars. Il ne vous a donc pas suffisamment écouté ?
Il m’a écouté, simplement, les intérêts économiques l’ont emporté. Ceux qui ont choisi de freiner plutôt que de stopper ont fait le mauvais choix.
Les Chinois ont donc appliqué cette méthode, que j’ai expliquée dès le mois de mars aux Français. Ce qu’on vit aujourd’hui en France, on pouvait le prédire à la fin du mois de mars. L’expérience et la réussite des Chinois devaient servir à la France et c’est pour ça que je me suis battu. Pour gagner du temps mais on n’a pas toujours compris.
"Je l’ai dit dès le début : quand vous freinez, vous ne savez pas combien de temps va durer l’événement, et plus ça dure, plus le nombre de contaminations, plus le nombre de morts, plus les conséquences économiques seront importantes"
À l’inverse des Chinois, on subit plutôt que de maîtriser. Non seulement on ne sait pas comment va évoluer l’épidémie, mais on ne connaît pas la réaction des populations, les retombées économiques. Les Chinois ne se sont pas laissé cette éventualité-là. Ils ont voulu maîtriser tout de suite.
Ils se sont beaucoup appuyés sur les moyens de pistage numérique des patients. Pourquoi ça n’a pas fonctionné chez nous ?
Parce qu’ en pratique, ça ne sert pas. Nous, on a pris le problème dans le sens des libertés individuelles. C’est un faux débat. Nous sommes sur un problème de santé publique, où c’est la santé de l’autre qui est en jeu. Il fallait imposer une application mobile qui se rende indispensable. En Chine, vous ne pouviez pas rentrer dans un restaurant ou un supermarché sans l’utiliser. Et je pense que si en France on avait fait la même chose, la question de l’atteinte aux libertés serait passée au second plan. En outre, nous avons les compétences en France pour réaliser des applications efficaces et qui respectent les libertés de chacun. On est au XXIe siècle, la France est une puissance mondiale, je ne comprends pas que l'on n’utilise pas des outils aussi efficaces pour la santé publique.
Il y a tout de même des différences culturelles entre les Chinois et les Français qui rendent peut-être ces stratégies difficilement transposables telles quelles.. .
Bien sûr, ce sont deux mondes différents, mais c’est le résultat qui compte. Lorsque j’ai lancé l’alerte, j’ai dit voilà ce que les Chinois ont fait et pour moi il était évident que nous, Français, nous devions adopter un plan de bataille en l’adaptant à notre culture.
"Nous avons en France des atouts extraordinaires : nous avons une sécurité sociale et donc une solidarité extraordinaire. Nous avons la première ligne qu’est la médecine générale."
Ce que les Chinois ne connaissent pas, ici c’est une médecine de masse, tout le monde va directement à l’hôpital. En France nous avons donc ces médecins de familles qui pouvaient aller à domicile, conseiller, diagnostiquer et traiter les patients. C’est une confiance qui pourra d’ailleurs être utile quand on devra vacciner.
Pensez vous que ce rebond épidémique en France pourra être maîtrisé ?
Il va arriver un moment où l’on va avoir nos services de réanimation complètement saturés, au point de devoir faire des choix, un tri, entre les malades et on sera de nouveau obligé de confiner. Ca sera inéluctable. C’est le moyen le plus évident pour empêcher la catastrophe.
Est-ce que le premier vaccin sera chinois ?
Au début de l’épidémie, les médecins qui sont venus relever à Wuhan les soignants épuisés étaient des médecins militaires et il y a une femme médecin militaire qui s’est injecté le premier essai de vaccin au mois de février. En effet, les Chinois ont probablement un train d’avance, d’autant plus qu’ils ont pu s’appuyer sur l’armée pour tester à grande échelle.
On a quand même toujours l’impression en France que les chiffres chinois de contaminations sont minimisés…
Ma vision est à la fois scientifique et subjective. Entre le 17 février et le 8 avril, il s’est écoulé 52 jours durant lesquels les Chinois ont livré bataille contre le virus. Plus la période est courte, moins il y a de dégâts. En faisant preuve de volontarisme, on diminue le nombre de victimes physiques ou économiques. Les chiffres, je ne les maîtrise pas mais en discutant avec les chefs d’entreprises de Wuhan ou avec les employés de la clinique, on mesure bien qu’il n’y a pas eu les mêmes conséquences qu’en France.
La stratégie "molle" de la France À la fois « acteur et témoin » des événements en Chine, Le Dr Kein a volontiers joué le rôle d’un lanceur d’alerte au profit de son pays. Fin mars, il s’est entretenu avec le président Emmanuel Macron : « J’ai expliqué ce qu’il s’était passé ici et ce qui avait marché ». Dès le mois d’avril, le Dr Klein a déploré que la France opte pour une stratégie « molle, prolongée dans le temps avec des résultats bâtards, et un déconfinement incontrôlable ». Il était partisan d’une stratégie plus ferme et plus rapide, d’un confinement plus strict, comprenant notamment « une mise à l'arrêt des transports en commun ».
Propos recueillis par Julien Rapegno