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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

https://descartes-blog.fr/2021/12/19/enfin-un-papier-optimiste/?fbclid=IwAR2gwagvl8dRT5xd_gR1QV_J5md9zvTHcXbZNJJwzxOGiG4F_j14jIdyWOY

Enfin un papier optimiste !

Tous les oracles sont d’accord : les élections présidentielles seront pour « la gauche » une catastrophe. « Libération », qui lit dans les entrailles des oiseaux, nous prévient que « la gauche » se meurt, la gauche est morte. « Le Monde », qui préfère le Tarot et la carte astrale, nous dit que « la gauche » est en plein désarroi et n’a aucune chance de se retrouver au deuxième tour.

Mais quand est-ce la dernière fois que « la gauche » a été présente au deuxième tour ?  Pas en 2012, en 2007, en 1995, en 1988, en 1981. A toutes ces élections, ce fut le candidat du Parti socialiste, portant le programme de son parti, et non de « la gauche », qui fut présent au second tour. La dernière fois où l’on peut parler d’une présence de « la gauche » au deuxième tour, c’est l’élection de 1974. Cette année-là, communistes, socialistes et radicaux de gauche avaient conclu un contrat de gouvernement les engageant à appliquer un programme qui leur était commun. Le candidat pouvait donc être considéré le candidat de « la gauche ». Mais depuis cette élection – et cela fait quand même un demi-siècle – on ne peut dire que « la gauche » ait jamais passé le premier tour, sauf à prendre la partie pour le tout, et confondre le seul Parti socialiste avec « la gauche ».

Le fait qu’il n’y ait pas de candidat socialiste au deuxième tour est peut-être une catastrophe pour le Parti socialiste. Mais pourquoi une telle situation serait une catastrophe pour « la gauche » ? Pour cela, il faudrait admettre que les idées qui sont chères aux différentes organisations qui composent « la gauche » sont mieux servies lorsque les socialistes sont au pouvoir. Est-ce vraiment le cas ? Pas si je crois mon expérience : à chacun de ses passages au pouvoir, la gauche a fait ce que la droite a toujours rêvé mais n’a pas réussi. Privatisations, monnaie unique, « concurrence libre et non faussée », privatisation de la fonction publique… vous voulez que je continue ? Les militants communistes, pour ne prendre qu’eux, se souviennent que jamais on leur a autant tapé sur la gueule, jamais autant cherché à leur faire perdre leurs élus – avec la complicité de la droite – que quand les socialistes étaient au pouvoir. Pourquoi le fait que le Parti socialiste ne soit pas au deuxième tour serait une « catastrophe » pour eux ?

Je suis persuadé qu’à la plupart des électeurs de Roussel ou de Mélenchon le fait qu’Anne Hidalgo ou Yannick Jadot soient absents du deuxième tour ne fait ni chaud ni froid. Et qu’à l’inverse, les électeurs d’Hidalgo ou de Jadot ne feraient le moindre effort pour permettre à Roussel ou Mélenchon de passer le premier tour. C’est pour cela que l’unité, que tout le monde dit appeler de ses vœux, ne se fait pas et ne se fera pas.

C'est la droite ou la gauche? (lHuma Lann)

Vous me direz que « la gauche » est allée unie aux urnes en 1965 et 1974 – et jusqu’à un certain point, en 1981. Pourquoi la magie qui avait permis à l’époque à la gauche de s’unir ne fonctionnerait-elle pas aujourd’hui ? Parce que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. En 1965, en 1974, en 1981 « la gauche » n’avait pas gouverné depuis plus de trente ans. Les militants, les électeurs pouvaient penser qu’en portant un homme « de gauche » au pouvoir, celui-ci ferait une politique conforme aux espérances de « la gauche ». Un communiste pouvait encore penser qu’en portant un socialiste au pouvoir, les intérêts qu’il défendait seraient mieux servis qu’en portant un homme de droite. Mais depuis 1981, « la gauche » a beaucoup gouverné. Quarante ans se sont écoulés depuis 1981. Pendant cette période, « la gauche » a gouverné exactement vingt ans, soit la moitié de la période (1981-86, 1988-93, 1997-2002, 2012-2017), et occupé l’Elysée pendant à peu près le même temps (1981-95, 2012-17). Suffisamment longtemps donc pour qu’on puisse juger son œuvre. Et qu’est-ce qu’elle laisse en héritage ? D’abord, une longue liste de capitulations, de trahisons, d’abandons au profit du bloc dominant. Au point qu’il devient difficile de savoir si telle ou telle mesure fut prise par « la gauche » ou « la droite ». L’Europe de la concurrence « libre et non faussée », le traité de Maastricht, la monnaie unique, c’est « la gauche » ou « la droite » ?  La privatisation du patrimoine public – France Telecom, Renault, BNP, ELF, EDF, GDF, GAN, Air France, Renault, AGF, Crédit Lyonnais, Société générale – c’est « la gauche » ou « la droite » ? « L’élève au centre » et le savoir nulle part, la culture transformée en happening, les « années fric », la télé-poubelle, c’est « la gauche » ou « la droite » ? La désindustrialisation, la banalisation du chômage de masse, c’est « la gauche » ou « la droite » ? Pourquoi moi, électeur communiste, irais-je voter une Anne Hidalgo qui demain me collera une loi El-Khomri, qui privatisera la SNCF, qui fermera une centrale nucléaire ? Même si elle jure par ses grands dieux du contraire, est-ce que ses serments vaudront plus que ceux de Mitterrand, de Jospin, de Hollande ? Qu’est-ce qui me dit qu’elle tiendrait plus compte de mes avis que ne l’ont fait ses prédécesseurs une fois que je lui aurai signé son chèque en blanc ?

La gauche paye un mode de gouvernement dans lequel le PS hégémonique méprisait quand il n’ignorait pas les autres composantes de « la gauche », où la trahison, le reniement de la parole donnée, l’exploitation systématique des faiblesses de ses « alliés » était devenue systématique. C’est là l’héritage empoisonné du machiavélisme mitterrandien. Pour une génération de « la gauche » non communiste – les socialistes, les écologistes, les gauchistes reconvertis ou pas en socialistes – le « vieux » a servi de guide et de modèle, au point qu’aujourd’hui encore un Mélenchon, un Dray lui rendent un hommage appuyé et acritique. Dans cette gauche la trahison tactique a non seulement été permise, elle a été encouragée. On pouvait saboter le candidat officiel de son propre parti, se présenter même contre lui… et on n’est pas sanctionné si l’on gagne. On peut aussi susciter une candidature pour dynamiter un « allié » et se faire élire à sa place avec les voix de la droite, quitte à violer les accords de désistement mutuel (1).

Le naufrage du PS pourquoi? (lHuma Lann)

Le naufrage du Parti socialiste, c’est aussi cela : une organisation sans code de l’honneur, où l’on n’hésite pas à trahir ou descendre un camarade de parti pour son propre profit. Une génération, celle des Dray, des Hollande, des Mélenchon, a été éduquée dans l’idée que la politique se réduit à une tactique. Que la victoire vaut tous les sacrifices, y compris celui des idées, qui deviennent quelque chose de tout à fait secondaire (2). Celui qui n’a pas eu la chance d’assister à un congrès du PS de la « belle époque » mitterrandienne, ne sait pas ce qu’il a perdu. J’ai eu cette chance, et je peux en témoigner : les textes, les projets, les débats n’intéressaient personne. Le seul point d’intérêt, c’est qui allait avoir quel poste et qui allait être rétrogradé, et comment on pouvait gâcher la présentation d’un adversaire ou mettre en valeur celle de son patron. Et bien entendu, la magouille des votes pour répartir le pouvoir entre les différentes tendances – votes dont nous savons aujourd’hui grâce à Jean-Luc Mélenchon que le résultat état négocié entre la direction et les différents courants dans le dos des délégués. Cela a donné à « la gauche » une génération de politiques sans âme, sans colonne vertébrale idéologique, prêts à soutenir une chose aujourd’hui et à la maudire demain en fonction de considérations tactiques, à flinguer un camarade si le prix est le bon. Une génération de politiques qui finalement ne laissent derrière eux aucune œuvre, ni même un enseignement, puisqu’ils ont dit tout et son contraire, et qu’au fond – ils le disent eux-mêmes – ils ne sont pas intéressés par les idéologies. Pour cette génération, l’unité n’a qu’un seul but, la conquête des postes et du pouvoir – sans qu’on sache ensuite quoi en faire. C’est d’ailleurs pourquoi ceux qui proposent une « primaire » cherchent à départager des personnalités, et non des projets.

La logique d’unité suppose que les partis retirent leurs candidats pour en laisser subsister un. Mais une fois qu’on s’est désisté, c’est l’un en question qui détient toutes les clés, qui parle au fenestron. Et qui est libre de respecter les engagements ou de les trahir, d’écouter ou non ceux qui l’ont fait roi, et éventuellement d’utiliser le pouvoir qu’ils l’ont aidé à conquérir contre eux. L’unité suppose donc une bonne dose de confiance dans la loyauté de l’autre, dans la valeur qu’il donne à sa parole. Sans une logique de l’honneur, point d’alliance solide. Or, à l’exception notable du PCF qui a toujours exécuté les accords qu’il a signé – même lorsqu’ils avaient cessé de lui être avantageux – les hommes et les formations qui composent « la gauche » ont fait preuve d’une coupable légèreté à l’heure de tenir leur parole et de respecter les accords. L’exemple de la primaire de la gauche organisée par les socialistes en 2017, où l’on a vu les candidats s’engager à soutenir le gagnant, puis se sont empressés à soutenir d’autres candidats dès que le résultat fut connu, est un cas flagrant. Et ne parlons même pas des coups bas chez les écologistes… où le candidat désigné à 51% peut être assuré d’être saboté par le 49% restant.

Ce dont les « bébés Mitterrand » ne se sont pas aperçus, c’est à quel point le machiavélisme tactique est corrupteur, combien il détruit la confiance qui est le fondement de l’engagement collectif. Et ils ne l’ont toujours pas compris. Mélenchon fait les yeux doux à Roussel, comme si les coups bas de 2012 et de 2017 n’avaient jamais existé, comme si les communistes aujourd’hui pouvaient faire confiance à celui là même qui, depuis que les « insoumis » existent, a fait tout ce qu’il a pu pour les vassaliser. Hier, quand il était en position de force, il exigeait des candidats communistes un serment de fidélité sous forme d’une « charte » qui lui donnait le contrôle du groupe parlementaire. Aujourd’hui, en position de faiblesse, il fait les yeux doux et se fait tout gentil. Il a craché sur les communistes hier – souvenez-vous du tweet à Laurent : « vous êtes la mort et le néant ». Il les courtise aujourd’hui. Normal : il appartient à une génération politique sans mémoire, qui s’imagine que ses actes n’ont pas de conséquences, que le passé ne pèse pas sur le présent, qu’on peut écraser un « allié » sous sa botte aujourd’hui et « faire l’union » avec lui demain. Mélenchon parle de l’UE comme s’il n’avait jamais voté « oui » à Maastricht, Hollande parle social s’il n’avait jamais fait la loi El Khomri, Hamon parle de l’éducation comme s’il n’avait jamais été ministre, Taubira de rectitude comme si elle n’avait jamais fait liste commune avec Tapie.

Et tant que cette génération sera là, il n’y a aucune chance de voir la gauche se redresser. Ces gens sont incapables de construire quoi que ce soit, parce qu’ils ont oublié – ou n’ont jamais appris – l’importance de la vertu en politique. Tenir sa parole, ne jamais se compromettre sur l’essentiel, c’est la condition de la confiance, et la confiance est la condition de toute construction de long terme. Le retour de 1958 n’est possible que parce qu’il y eut avant onze ans d’intransigeance, de continuité. Cette continuité, cette action dans la durée, ils en sont incapables. Mélenchon a fondé LFI il y a six ans bientôt, et n’a toujours pas songé à institutionnaliser son mouvement, à en faire un « intellectuel collectif ». Parce que ces gens-là fonctionnent par « coups » tactiques qui durent ce que durent les roses, et se fanent ensuite pour être remplacées par le « coup » suivant (3).

L’obsession « d’être au deuxième tour » illustre parfaitement le délitement de « la gauche ». Depuis 2017, « la gauche » a eu cinq ans pour travailler à un projet, pour développer une vision de la France. Elle n’a rien fait. Elle était trop occupée à magouiller les candidatures aux municipales, aux régionales, aux européennes. Et cinq mois avant l’élection, le seul débat qui vaille dans « la gauche » est celui de placer quelqu’un – peu importe qui, peu importe son programme, peu importe son projet – au deuxième tour. Quelqu’un de « raisonnable » – c’est-à-dire, venant de la galaxie PS – cela va sans dire. On propose une « primaire », mais c’est une primaire entre candidats sans projet, sans programme, qui n’ont à montrer aux électeurs que leur gueule et un certain nombre de propositions démagogiques destinées à caresser tel ou tel segment de l’électorat dans le sens du poil.

« La gauche », celle des petits jeunes – énarques et gauchistes – nourris au lait du mitterrandisme et devenus des vieux magouilleurs donneurs de leçons, celle qui a ouvert la porte à tous les communautarismes, à toutes les capitulations, à toutes les démissions au nom de la tactique, est mourante. Quand elle disparaîtra, ce n’est pas moi qui irai la regretter. Bientôt les Mélenchons, les Hollandes, les Taubiras, les Cohn-Bendit quitteront la scène pour aller réfléchir à toutes les bonnes choses qu’ils auraient faites… s’ils avaient su quoi faire. Et on pourra peut-être alors travailler sérieusement. En cette fin d’année 2021, une bonne raison d’être optimiste !

Descartes

(1) Pour ceux qui connaissent mal l’histoire électorale, pensez au cas de Bègles, où Noel Mamère se présente aux municipales de 1989 contre un maire communiste sous l’étiquette « majorité présidentielle » avec la bénédiction de Mitterrand et en violation des accords entre le PS et le PCF. Mamère sera finalement élu avec les voix de la droite. Autre exemple : aux législatives de 1988 Bernard Kouchner, candidat socialiste, arrive loin derrière Alain Bocquet, le député sortant communiste, alors que la droite ne peut se maintenir au deuxième tour. Kouchner déclare qu’il se maintiendra, pour battre le candidat communiste. Mais dans son cas, cela ne marche pas. Le PCF menace de faire voter contre les sortants socialistes dans toutes les circonscriptions, et Kouchner est obligé de se désister. Quant aux candidats socialistes qui ont vu se dresser contre eux des candidats dissidents de leur propre parti, qui ont été battus et ont vu leurs vainqueurs réincorporés… ils sont trop nombreux pour les mentionner ici.

(2) Pour ceux qui seraient tentés de dire “ça a toujours été lé cas”, je vous propose quelques exemples. Jean-Pierre Chevènement a démissionné trois fois d’un poste de ministre : la première, en 1983, pour marquer son désaccord avec le “tournant de la rigueur” ; la deuxième, en 1991, parce qu’il s’oppose à l’engagement français dans l’intervention américaine en Irak voulu par Mitterrand ; la troisième en 2000 parce qu’il ne cautionne pas les Accords de Matignon signés par Jospin avec les indépendantistes Corses, qui comprennent en particulier la reconnaissance d’un “peuple corse” qui ne serait qu’une “composante” du peuple français – concession qui sera d’ailleurs cassée par le Conseil constitutionnel. Et il n’était pas le seul a manifester ses désaccords : lorsque Mitterrand propose au Parlement – dans lequel les socialistes ont la majorité absolue – le projet de loi qui réhabilite les généraux putschistes de 1962, Pierre Joxe, alors président du groupe, bataillera passionnément contre, avec une telle hargne que le gouvernement est obligé d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer son projet (pour une relation détaillé de l’affaire, voir https://histoirecoloniale.net/la-rehabilitation-des-generaux.html). On serait en peine de me citer un cas, un seul, ou les Mélenchon, les Drai, les Hollande aient osé défier le “vieux”…

(3) Exemple presque caricatural : la présentation par Jean-Luc Mélenchon de son “Parlement de campagne” à son meeting de La Défense. En ce sens, Mélenchon est un révolutionnaire : il a formé le premier parlement sur invitation de l’histoire. Car, soyez rassurés, le “Parlement de campagne” de Mélenchon ne déroge en rien aux traditions “insoumises” : tous ses membres ont été invités à siéger et désignés par le gourou himself. On ne va quand même pas pousser la démocratie jusqu’à élire les instances ! Voici un exemple où pour pouvoir faire un “coup” on change le sens des mots, et ce faisant on dévalorise l’institution parlementaire. Car maintenant, on le sait, point besoin d’élection pour être un véritable parlement…

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