Edifiant sur ce que sont les macrono-socialistes
Droit dans ses bottes. L'ex-gendarme réserviste Vincent Crase n'en démord pas, il n'a pas commis de "faute morale" en sortant de son rôle d'observateur pour interpeller de façon musclée des manifestants le 1er mai 2018, place de la Constrescarpe à Paris. A 46 ans, ce protagoniste majeur de l'affaire Benalla publie Présumé coupable (éd. Plon), sorti jeudi 4 avril, où il parle en vrac de son ami Alexandre, des "start-uppers" du parti En marche !, ou d'Emmanuel Macron. Et il livre évidemment sa vision personnelle de ses déboires judiciaires. Passage en revue.
1Sur Benalla : "C'est qui le patron ? C'est moi !"
Si Vincent Crase admire toujours son ami Alexandre Benalla, il reconnaît que sa confiance est désormais quelque peu "écornée". Il revient sur le coup de foudre amical ressenti il y a dix ans pour cet aspirant réserviste de 17 ans. Ils se sont rencontrés dans une unité de gendarmes réservistes qu'il encadrait, et où le jeune Alexandre venait de remporter un concours de pompes. La fascination semble intacte. "A coup sûr, l'adolescent coche beaucoup de cases. Maîtrise physique et technique (...), aptitude au commandement, il excelle". D'emblée, les deux complices promettent de "travailler un jour ensemble. Monter une boîte de sécurité, quelque chose comme ça".
Dans le sillage de l'ascension fulgurante d'Alexandre Benalla, Vincent Crase devient responsable adjoint de la sécurité du parti En Marche. L'amitié ne l'aveugle pas pour autant. Anecdote à l'appui, il reconnaît que son camarade est parfois sanguin. Un jour où il se voit refuser l'accès au siège du parti, Alexandre Benalla hurle : "Je ne me calme pas ! C'est qui le patron ici ? C'est moi ! C'est moi le chef !" "A la teneur des échanges, ajoute Vincent Crase, je devine tout de suite la situation. Alexandre a voulu entrer dans l'immeuble et s'est vu demander son identité par l'agent qui n'a pas reconnu ce nouveau venu. Un détail que beaucoup auraient pris avec philosophie. Pas Alex. Il s'est vexé."
2Sur Macron : du travail "pour dix ans"
Le soir du second tour de la présidentielle, au QG d'En marche !, la joie éclate après l'officialisation des résultats. Emmanuel Macron, note Vincent Crase, "effectue le tour de la pièce pour embrasser chacune des personnes présentes. Je ne fais pas exception. Il me prend dans ses bras et me fait la bise.
- Merci pour tout le travail accompli, Vincent.
- Président, le vrai travail commence maintenant et pour cinq ans !
Il sourit et corrige :
- Mais non : pour dix ans !"
La victoire de l'ancien ministre de l'Economie, remarque-t-il, est aussi celle du jeune homme talentueux à la carrière-éclair, devenu l'"ange gardien" du nouveau chef de l'Etat. Pour les observateurs, cette ascension s'affiche à la télévision, lors de la marche triomphale à la pyramide du Louvre : "Alexandre est le seul à avoir le privilège de suivre le président pendant sa marche de la victoire (...) Je suis soufflé : j'ai été trop occupé ces derniers mois pour réaliser à quel point Alexandre et le patron se sont rapprochés (...). Amusez-vous à revoir les images : en pressant le pas, Benalla parvient même à s'immiscer dans le cadre au moment où le nouveau président monte sur scène pour embrasser la foule en liesse."
3Sur Philippe et Le Maire : "Recroquevillés comme des escargots"
Le tableau est assez drôle. Muni d"'une voiture banalisée aux vitres teintées", "je suis chargé, raconte l'ancien gendarme réserviste, de convoyer certains des prétendants au futur gouvernement jusqu'au QG [du parti En marche !] où ils vont passer leur, comment dire ? 'Entretien de motivation' [avec Emmanuel Macron]". Mais l'opération doit se faire en toute discrétion, pour empêcher la fuite des noms des ministrables dans la presse. "C'est ainsi, ironise Vincent Crase, que je charrie, allongés sur la banquette arrière comme deux malfaiteurs qui veulent franchir incognito un contrôle routier, deux prétendants de poids : Edouard Philippe et Bruno Le Maire. Le spectacle de ces deux grands commis de l'Etat recroquevillés comme des escargots à l'arrière de la voiture me fait toujours sourire aujourd'hui."
4Sur les "marcheurs" : "Ces jeunes hors-sol n'ont aucun intérêt pour le terrain"
Après la victoire à la présidentielle, le parti majoritaire déménage rue Sainte-Anne au centre de Paris. Les poids-lourds sont partis, et le responsable de la sécurité dépeint acidement un "Disneyland pour bobos" où la dimension ludique semble l'avoir emporté sur tout le reste.
"Le côté start-up un peu régressif des débuts se voit multiplié à la puissance mille, épilogue-t-il. Des open-spaces à foison (bientôt complétés par des cloisons parce que finalement, c'est mieux), une salle de sieste avec des gros poufs, une salle de détente avec billard et baby-foot, et une salle de sport. Partout des couleurs vives, des fruits frais le mercredi, un distributeur de friandises bio, sans oublier le "brown bag" lunch du jeudi midi, une sorte de réunion à l'heure du déjeuner où il faut amener son sandwich – pardon, sa salade de quinoa. Ajoutez les cours de yoga, la célébration des anniversaires et les cadeaux à 10 euros à Noêl et la caricature est complète."
La politique, elle, semble absente, tout autant que la préoccupation concrète de nettoyer "la vaisselle sale qui s'empile dans l'évier". L'auteur voit dans cette déconnexion une dérive qui porte en elle les germes du mouvement des "gilets jaunes" : "Ces jeunes hors-sol n'ont aucun intérêt pour le terrain".