Emmanuel Todd : « La défaite de l’Occident est désormais actée »
https://www.youtube.com/watch?v=E4QroVa2X78
Dans un entretien récent au Telegramme Emmanuel Todd résume son analyse.
https://www.letelegramme.fr/finistere/quimper-29000/emmanuel-todd-a-pont-aven-la-defaite-de-loccident-est-desormais-actee-6583909.php
Que présenterez-vous ce jeudi 16 mai à Pont-Aven ?
Je vais présenter mon dernier livre « La Défaite de l’Occident ». Il a été écrit pendant l’été 2023, durant la contre-offensive ukrainienne, quand les gens en Occident espéraient une victoire de l’Ukraine. C’est un livre prédisant la défaite de l’Occident et qui est désormais actée. Cela dit, le livre n’est pas fondamentalement sur la guerre. Et pour moi, la défaite de l’Occident, ce n’est pas non plus une victoire russe.
Comment faites-vous justement le lien entre la défaite ukrainienne, que vous prédisez, et celle de l’Occident ?
Quand Poutine a pris la décision d’envahir l’Ukraine, il a pris la décision d’affronter l’Otan en sachant que l’Ukraine bénéficierait du soutien militaire des pays occidentaux et que ceux-ci essayeraient de casser l’économie russe. Si cette invasion a été beaucoup difficile que prévu, l’économie russe a, elle, bien mieux résisté. La défaite de l’Occident sera donc une défaite militaire, à travers l’Ukraine, mais aussi industrielle car on s’aperçoit que la Russie produit bien plus d’armements que tous les pays occidentaux.
Une défaite de l’Ukraine, peut-être, mais pourquoi celle de l’Occident ? Pourquoi serait-elle actée ?
Le cœur du livre est la dynamique d’autodestruction des économies industrielles qui repose sur une destruction des populations actives qualifiées (ouvriers, ingénieurs, etc.). Encore plus en profondeur, je m’intéresse à la décomposition des forces religieuses. Ce sont elles qui ont permis le développement et l’organisation de cette économie financiarisée. Au cœur du cœur du livre, il y a la disparition du protestantisme anglo-américain.
C’est-à-dire ?
Je parle d’une décomposition religieuse où je retiens trois stades. D’abord la religion active. Puis la religion zombie. Ici, les gens ne pratiquent plus et ne croient plus en Dieu mais la société reste imprégnée par les valeurs religieuses héritées du christianisme. Enfin, il y a le stade zéro où la vie sociale et morale n’a plus de rapport avec le fond religieux chrétien […]. Je donne plusieurs indicateurs pouvant indiquer que nous sommes dans ce dernier stade. C’est important pour comprendre ce qui arrive au monde anglo-américain avec une baisse du niveau d’éducation et de la discipline. Cela me conduit à la notion de nihilisme. Car même un individu « libéré » d’explications religieuses restera confronté au problème du sens de la vie. Dans ce contexte de vide, il peut y avoir tout un tas de réactions possibles, comme la destruction des choses. […] Cette analyse me permet d’affirmer que le déclin américain n’est pas réversible. Mais la Russie est aussi dans un vide religieux. Ce qui lui donne une stabilité, ce sont les restes d’une structure familiale autoritaire.
Pourtant les revenus par habitant des Russes sont bien plus faibles qu’en Occident…
Le niveau de vie monte là-bas alors qu’il baisse ici. C’est cette dynamique qu’il faut étudier. Le problème fondamental est pour moi la fécondité. La Russie a cinq ans pour gagner cette guerre car, après, arriveront les classes creuses avec une mobilisation de ressources qui sera de plus en plus difficile. Mais je pense que cette guerre sera réglée dans l’année.
On vous reproche votre côté réactionnaire et notamment que votre livre épouse la propagande du Kremlin…
Je fais de la recherche depuis 50 ans et je n’ai pas attendu cette guerre pour être en conflit avec tout le monde. […] Quand j’écris que la Russie ne va pas perdre, je ne suis pas en train de dire que Poutine est vachement sympa mais j’ai l’impression de contribuer au pluralisme des opinions dans mon propre pays. […]On va de toute manière voir rapidement si ce que je dis est vrai et s’il n’aurait pas été plus efficace pour les Occidentaux d’avoir un peu plus de pluralisme des opinions avant de se lancer dans ce conflit.