Pour information et réflexion, je soumets aux visiteurs de notre site l’analyse argumentée déployée ci dessous par Jacques Nikonoff.
La Cinquième République est désormais verrouillée par Maastricht;
elle est devenue quasiment une république censitaire par le système du parrainage public;
elle est massivement boycottée par l’électorat populaire;
elle n’est même plus capable d’offrir UN candidat porteur du Frexit progressiste, voire du Frexit tout court, au suffrage universel.
En outre, le principal candidat soutenu par l’oligarchie euro-atlantique est quasi assuré d’une majorité parlementaire de par le dispositif du quinquennat. Ce même Macron est quasi assuré de sa réélection sans faire campagne et en abusant de sa fonction. A quand le retour aux candidatures officielles du Second Empire ?
De plus, toute la politique du parti maastrichtien à plusieurs têtes repose depuis 15 ans sur le viol caractérisé du Non français à la constitution européenne. Or, nonobstant ce fait patent, le président quasi mécaniquement assuré de sa réélection (par le surverrouillage du second tour que lui offre l’extrême droite et par la faiblesse politique extrême de la gauche institutionnelle) en profite malhonnêtement pour glisser dans son programme de dernière minute la proposition d’un État fédéral européen (« saut fédéral européen »), c’est à dire rien moins que la dissolution de fait de la République française, viol inouï du contrat social français, fût il bourgeois. Enfin il faut prendre en compte le fait que la plus grande révolte populaire ayant eu lieu depuis mai 68, s’est caractérisée par le refus généralisé du pseudo jeu institutionnel.
Dès lors, tous ceux qui veulent, non en paroles mais en pratique, préparer la » grande explication » indispensable entre notre peuple et l’oligarchie, ne devraient pas considérer comme scandaleuses les questions soulevées par l’argumentation que l’on va lire ci-dessous.
D’autres options existent certes et sont respectables, notre organisation ne les exclut pas a priori. Mais alors que l’État bourgeois alloue des moyens considérables à la lutte contre l’abstention et le vote nul, il est pour le moins loyal d’examiner tous les arguments.
Macron terrifié par l’abstention, renforçons le boycott de la présidentielle
Par Jacques Nikonoff, le 26 février 2022
Le Premier ministre a présenté un « plan anti-abstention » largement relayé par les médias. Il montre l’angoisse du camp macroniste, non pour l’élection de leur champion qui est quasiment assurée, mais pour le nombre des abstentions et des votes blancs et nuls. Les résultats des élections municipales de 2020 (58,06 % d’abstention) et des départementales et régionales de 2021 (66,7 % d’abstention), en effet, ont montré que le premier parti de France était désormais celui des abstentionnistes. La présidentielle va-t-elle suivre le même chemin ? Car le désintérêt des citoyens pour cette campagne inquiète le pouvoir, comme les difficultés de « grands » candidats à obtenir leurs 500 parrainages (Le Pen, Mélenchon, Zemmour), qui discréditent ce scrutin.
Le risque principal est désormais celui d’une faible légitimité pour le président élu, qui aura pour effet de renforcer la mobilisation populaire et d’entraver le déploiement de la politique néolibérale autoritaire d’Emmanuel Macron. Notons au passage que tous ceux qui prétendaient que l’abstention revenaient à voter Macron sont aujourd’hui placés devant leur irresponsabilité. Cet affaiblissement inédit du système présidentialiste ne peut que renforcer la campagne de boycott de l’élection présidentielle (abstention, blanc ou nul), tout en soutenant des candidats « constituants » aux législatives.
Le gouvernement veut inciter à l’inscription sur les listes électorales, par différentes mesures, de ceux qui ne le sont pas. C’est une très bonne initiative, bien que tardive. En mai 2021, 47,9 millions d’électeurs étaient inscrits sur les listes électorales, soit 94 % des Français en âge de voter, selon l’Insee. Pour de multiples raisons, des millions de Français sont non ou mal inscrits sur ces listes. On estime entre 3 et 5 millions le nombre de personnes qui sont non-inscrites (et ne sont donc pas considérées comme abstentionnistes), tandis que
6 millions de personnes seraient mal inscrites.
Cette situation concerne principalement les jeunes, chez lesquels le taux d’abstention est très élevé. Des records ont été battus lors des dernières élections locales. Selon une étude de l’IFOP, à peine 16 % des 18-24 ans et 19 % des 25-34 ans avaient voté lors du premier tour des élections régionales de 2021, contre 47% des plus de 65 ans et 33 % des Français en moyenne.
Toutefois, les mesures techniques envisagées ne correspondent que très faiblement aux causes profondes de l’abstention. Cette dernière, au-delà de simples problèmes techniques, illustre le malaise démocratique, en même temps qu’elle en découle. Seule une revitalisation de la démocratie peut la corriger : renforcer la démocratie représentative et directe (référendum, notamment le référendum d’initiative citoyenne), meilleure écoute des citoyens par les institutions, véritable dialogue et considération des citoyens. Il ont le sentiment que c’est la même politique qui est menée quel que soit le parti au pouvoir, et que la puissance publique est en réalité impuissante car les décisions stratégiques relèvent désormais du système de l’Union européenne.
La dimension contestataire de l’abstention est sous-estimée
Les images d’Epinal des abstentionnistes que l’on présente comme des citoyens désintéressés par la vie publique ou peu éduqués sont inexactes et scandaleuses. L’abstention est en réalité un acte profondément politique.
Anne Muxel[1], directrice de recherches au CEVIPOF – IEP de Paris, est une des pionnières dans l’analyse de l’abstention et de ses causes. Voici quelques éléments de réflexion :
L’abstention « touche tous les segments de la société et tous les types d’élection». Elle « conduit à réexaminer la place du vote parmi l’ensemble des outils d’expression politique à la disposition des citoyens ».
« Cela signifie-t-il pour autant une panne de civisme ? Cette fragilisation du rapport au vote implique-t-elle un affaiblissement de la participation politique ? Faut-il considérer l’abstention seulement comme une défaillance et donc comme une menace pour la qualité de l’expression démocratique ? Ne peut-on y saisir un signe de transformation des usages mêmes de la citoyenneté et des significations accordées à l’acte de voter ? ».
« Le droit de ne pas voter acquiert une certaine légitimité « . « L’électeur d’aujourd’hui est d’abord un votant intermittent, donc un abstentionniste intermittent[2] ».
« D’une élection à l’autre, et même d’un tour de scrutin à l’autre, les électeurs font de plus en plus un usage alterné et intermittent du vote et de l’abstention. Le vote systématique ne cesse de s’éroder au sein de la population électorale, et ce tout particulièrement au sein des jeunes générations ».
« Mais l’abstention systématique est relativement faible et stable en France autour de 12 %. Si l’on ajoute les 5 % environ de personnes non inscrites sur les listes électorales, ce sont à peine deux Français sur dix qui restent totalement à l’écart de la décision électorale. C’est donc la part des abstentionnistes intermittents, tour à tour votants et non votants, qui s’est accrue au fil du temps pour créer un déficit de participation. Et de fait, nombre d’électeurs ont adopté un comportement électoral intermittent ».
L’abstention est un outil qui s’est peu à peu imposé dans la palette des outils démocratiques à la disposition des électeurs. Elle n’est pas seulement le signe d’un retrait ou d’un désinvestissement de la scène électorale. Pour des électeurs de plus en plus nombreux et dans le jeu politique, elle est considérée et utilisée comme une réponse électorale à part entière. Elle peut servir à exprimer leur malaise à l’égard d’une offre politique jugée insatisfaisante ou encore une sanction à l’encontre des Gouvernements sortants. Tantôt votants tantôt abstentionnistes, les Français rencontrent l’élection avec de plus en plus de doutes mais aussi de circonspection ».
L’abstention, « D’une façon plus large, elle s’inscrit dans une évolution plus globale de redéfinition d’un nouveau modèle de citoyenneté et de nouvelles formes de politisation et d’expression démocratique ».
L’abstention dans et hors du « jeu politique »
Anne Muxel, dans ses travaux sur l’abstention, a pu différencier deux types d’abstention selon leurs caractéristiques sociologiques et selon leur rapport à la politique : les abstentionnistes « dans le jeu politique » et les abstentionnistes «hors du jeu politique ».(5) « Les premiers sont souvent jeunes, diplômés et plutôt favorisés quant aux conditions de leur insertion sociale. Ils déclarent par ailleurs s’intéresser à la politique, et peuvent même se déclarer proches d’un parti politique. Ils s’abstiennent sans qu’il s’agisse d’une désaffection politique et se remettent à voter dès qu’ils peuvent à nouveau se reconnaître dans l’offre électorale proposée. Leur abstention est le plus souvent intermittente. Cet abstentionnisme « dans le jeu politique » correspond à un nouveau type d’électeur, plus mobile, plus affranchi des modèles d’identification partisane, relativement critique et exigeant à l’égard de l’offre politique, et pouvant utiliser l’abstention au même titre que le vote pour se faire entendre et peser sur l’élection».
Les abstentionnistes « hors du jeu politique » se distinguent par un « retrait de la politique, et par une certaine apathie. On les retrouve en plus grand nombre au sein des couches populaires, disposant d’un faible niveau d’instruction, parmi des catégories en difficulté d’insertion sociale, ainsi que dans les populations urbaines. On compte aussi un plus grand nombre de femmes. Ces absents plus constants de la scène électorale ne se reconnaissent pas dans le jeu politique, ils ont trop de problèmes individuels pour investir la scène collective, et se sentent incompétents. Mais surtout ils sont davantage porteurs que les autres d’un refus et d’une contestation s’ils se déclarent en plus grand nombre que les autres favorables à un changement complet de société. Globalement, les « hors-jeu » contestent la société dans laquelle ils vivent. S’ils votaient ils seraient en nombre significatif plus sensibles aux thèses populistes ou d’extrême droite. Leur comportement s’inscrit dans une logique de refus du système social comme du système politique ».
L’abstention « dans le jeu », qui est intermittente et politique, est au contraire l’expression d’une certaine vitalité démocratique. Les États-Unis et la Suisse, par exemple, connaissent depuis longtemps une forte abstention ; ils ne sont pas pour autant remis en cause en tant que grandes démocraties. Seule l’augmentation significative de l’abstention « hors-jeu » marquerait une vraie crise de la démocratie.
Pourquoi la classe dominante est-elle terrorisée par l’abstention mais aussi par les votes blancs et nuls ?
Que répondre à ceux qui croient en toute sincérité que le boycott ne sert à rien puisqu’il ne suffit que d’une seule voix pour être élu ? Certes, l’abstention (mais aussi les votes blancs et nuls), en effet, n’empêche pas l’élection d’un candidat. Ce n’est pas son but. En revanche, si elle est puissante, elle empêchera, de donner de la légitimité à celui qui sera élu. Il sera mal élu et éprouvera des difficultés à gouverner. C’est ce que ne comprennent pas les personnes qui disent « l’abstention ne sert à rien car il y aura quand même un président élu ». Ils considèrent qu’être élu, comme monsieur Macron au second tour en 2017,
avec 66,10 % des exprimés et 43,61 % des inscrits (pour 20,7 millions de voix), serait la même chose qu’être élu mais avec un nombre de voix inférieur au total des abstentions, des blancs et des nuls. En 2017, face aux 20,7 millions de voix obtenues par monsieur Macron, les abstentions (12,1 millions), les blancs (3 millions) et les nuls (1 million) n’ont fait au total que 16,1 millions de voix, c’est-à-dire moins que le nombre de voix obtenues par monsieur Macron.
Imaginons maintenant que monsieur Macron (ou un autre candidat d’inspiration néolibérale), obtienne en 2022 moins de voix que le total des abstentions, des blancs et des nuls. Par exemple des résultats inversés par rapport à ceux de 2017, soit 16,1 millions pour monsieur Macron, mais 20,7 millions pour le total des abstentions, des blancs et des nuls. Est-ce vraiment la même chose que le résultat de 2017 ? Certes, Macron (ou un clone) sera élu, mais il sera nettement illégitime.
Légalité ou légitimité ?
Il est nécessaire de comprendre la différence entre légalité et légitimité.
La légalité est l’ordre juridique d’un pays., c’est le respect de la loi. Si la loi est vraiment l’œuvre du peuple, directement (par référendum) ou par ses représentants (les députés), il n’existe que peu de risques qu’elle soit arbitraire ou contraire à l’intérêt du peuple (mais ce n’est pas impossible non plus). La légalité est donc la conformité à la loi, c’est ce qui est permis par la loi, elle correspond au droit écrit. Cependant, la notion de légalité est plus restreinte que celle de légitimité et caractérise ce qui est « seulement » conforme à la loi.
La légitimité, en revanche, correspond au respect de principes supérieurs à la loi qui, dans une société donnée et à un moment donné, sont considérés comme justes. Ainsi, au-delà de la régularité formelle qu’exprime la légalité d’un acte, il est nécessaire que sa valeur soit fondée sur un principe qui le justifie. Ce principe, c’est la légitimité. Dès que les gouvernants sont tenus pour légitimes, les règles qu’ils édictent bénéficient de l’autorité qu’ils tiennent de leur légitimité et ne sont pas ou peu contestés. La légitimité est donc la conformité d’une institution à une norme supérieure ressentie comme fondamentale par la collectivité qui lui fait accepter moralement et politiquement l’autorité de cette institution. La légitimité c’est ce qui est ressenti comme juste et moral par le peuple. Le sentiment de légitimité ou d’illégitimité est un ressort essentiel pour la mobilisation du peuple.
Que peut-on attendre du boycott de l’élection présidentielle ?
Une victoire électorale de monsieur Macron à la présidentielle, assez probable, peut, en même temps, devenir une défaite politique pour lui du fait de son manque de légitimité. L’objectif principal du boycott citoyen est d’affaiblir la légitimité du président élu et du système présidentialiste dans son ensemble. Cette situation, dans le court terme, peut déboucher aux législatives de juin sur la mise en minorité de LREM (ou de LR) à l’Assemblée nationale, et à l’impossibilité pour monsieur Macron de mener leur politique. Le rapport de force politique sera nettement plus favorable au peuple.
Il est très probable, en cas de victoire électorale de monsieur Macron, mais avec un fort boycott électoral, que la dynamique en faveur des candidats aux législatives soutenus par le président élu soit entravée, contrairement à l’expérience de ces dernières décennies. Nous aurions donc une nouvelle cohabitation d’un type radicalement nouveau.
Une crise politique, institutionnelle et constitutionnelle à venir
Cette crise, en attendant une future dissolution probable de l’Assemblée nationale qui ne manquera pas d’intervenir à un moment ou à un autre,
propulsera la Ve République à la fois vers la IVe et la VIe République. Un retour vers la IVe République, car la « stabilité » gouvernementale réputée de la Ve République, mise en avant pour justifier son efficacité, ne sera plus qu’un souvenir. Une avancée vers la VIe République, car des conditions beaucoup plus favorables seront alors créées pour accélérer la dynamique populaire permettant au peuple d’élaborer une nouvelle constitution qui lui redonnera le pouvoir. Ce sera la garantie que les politiques menées seront favorables au peuple.
Dans la crise politique, institutionnelle et constitutionnelle qui se profile, l’intervention du peuple sera décisive. Elle permettra de trancher les différends entre des groupes parlementaires nombreux et divisés. La politique, au sens de l’action du peuple comme corps autonome reprendra ses droits. On peut espérer que les élections législatives anticipées fassent encore progresser l’idée d’une révolution constitutionnelle.
Pour y parvenir, l’abstention à la présidentielle, mais aussi les votes blancs et nuls, doivent aller largement au-delà des 50 %. Tel est l’objectif de la campagne de boycott citoyen et constituant de la présidentielle : abandonner le présidentialisme grotesque et aller vers un régime parlementaire primo-ministériel beaucoup plus démocratique.
1] Anne Muxel, « Abstention : défaillance citoyenne ou expression démocratique ? », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 23 (Dossier : La citoyenneté) – février 2008.
[2] Baromètre du CIDEM « Civisme et démocratie » 2006.