Une nouvelle gauche, radicale, anti-libérale et hostile à l'immigration.
C’est la semaine prochaine que Sahra Wagenknecht lance son mouvement politique, Aufstehen (Debout !). Ce nouveau parti, de gauche dure, antilibéral et hostile à l’immigration, ne cache pas ses intentions : concurrencer la droite populiste sur son propre terrain.
Les questions de l’immigration et de l’intégration des nouveaux immigrés ont complètement réorganisé et polarisé comme jamais en Allemagne fédérale, le débat idéologique. Depuis 1945, le pays était parvenu à évincer les extrêmes de la vie politique. Sous la direction d’une chancelière, issue du grand parti de centre-droit, la CDU, ses gouvernements menaient une politique de centre-gauche. Les bons résultats économiques, la quasi-disparition du chômage semblaient satisfaire l’électorat. Mais la montée en puissance d’un nouveau parti, l’AFD (Alternative pour l’Allemagne), devenue la première force d’opposition au Bundestag avec 94 députés, a rebattu les cartes.
L’immigration d’origine extra-européenne est devenue une obsession de l’Allemagne, comme elle l’est déjà dans la plupart des pays d’Europe centrale. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder l’actualité éditoriale de cette rentrée, marquée par quelques parutions significatives.
La rentrée éditoriale allemande, elle aussi, sous le signe de l'immigration.
Vous vous souvenez peut-être du premier roman de Timur Vermes, un journaliste d’origine hongroise, Il est de retour . Il racontait la résurrection d’Adolf Hitler au XXI° siècle. Best-seller. Un million d’exemplaires. Son nouveau livre, Die Hungrigen und die Satten (les affamés et les rassasiés) est, à nouveau, une satire sociale. Il met en scène une présentatrice vedette de télé-réalité dont l’émission est installée dans un camp de réfugiés. Un jour, elle décide de prendre son rôle vraiment au sérieux et se met à la tête d’une colonne de plusieurs centaines de milliers d’Africains qui décident de gagner l’Allemagne. Ils seront attaqués par des hordes de militants d’extrême-droite.
Vermes s’est amusé à faire son personnage positif d’un ministre de l’Intérieur issu des rangs de la CSU bavaroise. Au milieu du délire général, il est le seul à garder son calme et à chercher des solutions satisfaisantes à la fois pour les Allemands et pour les migrants. Pas très conforme au virage très droitier de ce parti bavarois.
On annonce un nouveau livre de Thilo Sarrazin, l'auteur de L'Allemagne disparaît.
On ne sait pas ce que défend ce nouvel essai : il est sorti hier et son auteur avait exigé un embargo total de la presse avant publication. Mais son titre semble assez explicite pour deviner son contenu : « OPA hostile : Comment l’Islam entrave le progrès et menace la société ». Rappelons que son précédent livre, L’Allemagne disparaît, a été le livre le plus vendu de la décennie. Thilo Saarazin a été vilipendé par la presse et traité de raciste. Mais le SPD, dont il est membre, n’a pas osé l’exclure en raison de sa popularité. Thilo Sarrazin, écrivait The Economist, « donne voix aux peurs et aux ressentiments qui n’ont pas de débouchés politiques ». Avec Aufstehen, le nouveau parti de Sahra Wagenknecht, ces peurs et ces ressentiments vont trouver, à gauche, le débouché qu’elles ont déjà trouvé à droite, avec l’AFD.
Sahra Wagenknecht n’est pas n’importe qui – elle dirige le groupe parlementaire Die Linke, le parti de la gauche radicale, au Bundestag. Elle a fait ses classes au Parti communiste d’Allemagne de l’est, puis après la chute de la RDA, à la Plateforme communiste. Née d’un père iranien, elle peut difficilement être taxée de racisme.
J’ignore si Ahmad Mansour pourra contribuer à apaiser la polarisation politique qu’il déplore. Ce psychologue berlinois est né Palestinien en Israël. Il vient de publier un livre intitulé : Parler clair sur l’intégration. Contre la fausse tolérance et l’alarmisme. En Allemagne, il dirige un centre de déradicalisation destiné aux jeunes islamistes. Il a co-dirigé, pour les télévisions de l’ARD, une série consacrée à l’antisémitisme en Allemagne aujourd’hui.
Pour Ahmad Mansour, la vie politique allemande tourne autour des questions de l’immigration d’une manière obsessionnelle. D’un côté, dit-il, une partie de la gauche est « excessivement tolérante », et la droite radicale est, de son côté, excessivement alarmiste. Or, l’Allemagne, estime-t-il, n’est pas plus raciste que les autres pays et, soit dit en passant - je cite - pas plus raciste que les immigrants eux-mêmes. »
Mais en refusant tout bilan critique de la Willkommenkultur de 2015/2016, les partis de gouvernement ont fait cadeau du sujet à l’extrême-droite. Il critique certains intellectuels, bien prompts à condamner certaines prises de position rétrogrades, lorsqu’elles proviennent des milieux chrétiens, mais étrangement complaisants envers l’islam sur les mêmes sujets ; des instituteurs et des policiers qui n’osent pas faire appliquer les règles et les lois, de peur d’être traités de racistes. Il dénonce ceux qui s’arrogent le monopole de la morale et refusent tout débat au nom de leurs principes. « Nous ne devons pas sacrifier nos valeurs sur l’autel de la coexistence », dit-il, cette semaine dans Der Spiegel.