Municipales à Lannion : à Cédric Seureau et nos amis écologistes et à nos camarades de la FI de Lannion et du Tregor !L'exemple de Grenoble donne à réfléchir!
Un ami de Grenoble nous fait parvenir ce texte particulièrement instructif que nous livrons à votre sagacité !
Bonne lecture.
Le Postillon est une institution à Grenoble…
https://www.lepostillon.org/-Ete-2019-.html
Déserter pour ne pas se trahir
C’est une des choses qui nous attriste profondément dans le spectacle politique : la discipline de groupe, les éléments de langage, l’impossibilité d’avoir des paroles singulières et des pensées propres. Tout ce pour quoi les élus ressemblent plus à des robots qu’à des humains.
Guy Tuscher n’a plus ce problème. Il faisait partie de la majorité municipale grenobloise, après avoir été élu en 2014 sur la liste d’Éric Piolle. De longs mois à se taire, à ne pas comprendre le sens des consignes et à tomber des nues devant la manière d’exercer le pouvoir de ces élus censés être différents.
Fin 2016, il s’est abstenu sur le vote du budget municipal, avec une autre conseillère municipale, Bernadette Richard-Finot. Après avoir été exclu du groupe majoritaire pour cet « affront », et afin de pouvoir continuer d’exercer leur mandat, ils ont fondé leur propre groupe « Ensemble à Gauche ». Depuis ils sont devenus les principaux ambianceurs du Conseil municipal. Parce que ça y est : maintenant Guy Tuscher peut parler. Ça tombe bien, il a plein d’anecdotes savoureuses à raconter.
On parle de plus en plus du « blues » des maires, qui seraient désemparés suite à la baisse des dotations de l’État et à la perte d’une partie de leurs pouvoirs. Les simples conseillers municipaux ont le blues aussi ?
Dans la majorité municipale, j’en ai vu aller très mal, surtout en début de mandat. Dès les premières réunions suite à l’élection, on a été plusieurs à être choqués sur la manière de manager les nouveaux élus. Je ne m’attendais pas à ce que ceux qui avaient déjà fait de la politique puissent être aussi « doués » que ça dans la prise en main du groupe majoritaire. Ils s’occupaient de nous sans arrêt, insistaient sur la prétendue « bienveillance » et qu’on était tous « les bonnes personnes, au bon endroit, au bon moment ». Cela parait sympa mais cela donnait vraiment la sensation de devoir rentrer dans un moule. On a eu des séances avec une comédienne, qui est venue pour nous apprendre à parler en public… c’est pas mal, sauf qu’en tant que simple conseiller, au Conseil municipal, tu ne parles pas. Il n’y a que les adjoints qui parlent, les autres ne disent jamais rien.
Toi, ça t’a servi plus tard, en devenant opposant.
Ouais, c’est vrai. En tous cas, il y a tout de suite eu un management particulier, amené par Piolle qui avant d’être au Conseil régional, dirigeait le pôle « logistique services » pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique de la petite multinationale HP. Une fois élu, il voulait faire du « management au projet » pour faire croire que tout le monde était égal, qu’il n’y avait pas de chef, les trucs qu’on enseigne dans toutes les écoles de managers. Il a par exemple tenu à tout prix à ce qu’il y ait quatre séminaires de deux jours complets par an. On partait tous les 42 élus dans la campagne, on dormait là-bas et on faisait la fête le soir ensemble. Soi-disant pour garder la cohérence du groupe... On parlait un peu de politique, mais ce qui comptait pour lui c’était le off, se bourrer la gueule… La nuit, il faisait des grosses « déconnades » en arrivant à deux heures du mat’ avec des membres du cabinet pour balancer un seau d’eau sur le lit d’un adjoint en train de dormir, par exemple.
Je trouve ça plutôt drôle…
Ouais, enfin il y avait des gens de soixante ans qui appréciaient moyen. Ça avait quand même un petit côté bizutage militaire ou grande école pas très proche de la bienveillance revendiquée… Et puis fallait jouer au baby-foot avec lui... Boire des coups ou jouer au baby, c’est bon pour détendre les désaccords politiques. Moi je ne m’étais pas engagé pour avoir un copain. J’étais rentré parce qu’il y avait un programme qui me plaisait. Avoir un copain qui en plus nous mentait souvent… Bref, ils ont mis en place ce management moderne et censé être sympa parce qu’ils savaient qu’il allait se passer des situations difficiles, que ça allait être dur humainement. Ce qui a été vrai : j’ai vu des adjoints qui ont vraiment morflé, psychothérapie et compagnie. À un moment un adjoint s’est confié à moi : « Depuis que je suis élu, je ne réfléchis plus », un autre a passé trois heures à me raconter ses problèmes notamment avec la première adjointe.
D’autres conseillers étaient au fond du trou : ils étaient largués, n’arrivaient pas à accepter la manière de fonctionner, se plaignaient : « Ils sont sans arrêt sur mon dos. »
Derrière le côté « grande famille », tout le monde se retrouvait très seul en fait. À une assemblée générale de l’Ades [NDR : l’Association démocratie écologie solidarité, une des quatre composantes de la majorité avec le Réseau citoyen, le Parti de gauche (ancêtre de la France Insoumise) et Europe Ecologie les Verts], devant une centaine de personnes, Piolle a quand même dit : « Ma philosophie c’est que je laisse mes adjoints se démerder. S’ils coulent et s’ils me demandent de l’aide, je tends la main… »
Faut dire aussi que c’était compliqué de trouver un équilibre personnel. Parce qu’au début, on nous a quand même ordonné de ne pas parler à la presse et à personne d’autre en fait. Christine Garnier [NDR : conseillère municipale et vice-présidente à la métropole, membre d’EELV] a dit : « Vous ne parlez même pas à votre conjoint ou conjointe le soir sur l’oreiller des affaires de la commune. (1) » C’est une certaine violence, cela heurte tous mes principes.
Mais pourquoi ?
Parce que tout peut être répété, même si c’est pas forcément malveillant. Parce que les conseillers les plus influents disaient qu’on avait que des ennemis partout. Comme cette manière de penser me choquait on me disait : « Non c’est comme ça, tu te rends pas compte comme c’est dur la politique, tu dis une petite phrase à quelqu’un et ça va être répété. » Ce fut tout de suite le syndrome de la citadelle assiégée, ils nous baratinaient : « On dit qu’on a eu le pouvoir par effraction, on va nous accuser d’être illégitimes et d’être incompétents, donc on a que des ennemis. »
Mais ça allait même plus loin. Dès le début, avant les premières polémiques, Lesourt, le conseiller spécial communication du maire (celui qui écrit tous ses discours) et Lecœur, l’ancien directeur de la communication, répétaient : « Le problème ça va être les militants. » Selon eux, ils ne comprennent rien à la politique et s’insurgent inutilement.
Il y a un siècle, le journaliste Robert Jouvenel écrivait : « Il y a moins de différences entre deux députés dont l’un est révolutionnaire et l’autre qui ne l’est pas, qu’entre deux révolutionnaires, dont l’un est député et l’autre ne l’est pas. » Certains élus de la majorité, sans parler d’être révolutionnaires, étaient quand même un peu présents dans les luttes locales. Depuis l’élection, ils sont passés du côté de l’institution et ressemblent beaucoup plus au PS qu’à leurs anciens camarades de lutte. Avant, l’Ades et les Verts soutenaient l’association Vivre à Grenoble, mobilisée sur l’urbanisme et qui fait des recours contre certains projets immobiliers. Aujourd’hui la mairie attaque cette association à cause d’un recours, en lui réclamant plus de deux millions d’euros de dommages-intérêts !
Pour eux, les collectifs ça devient des gens limite dangereux qui n’ont rien compris, qui ne sont que sur une posture. Quand on a voulu rencontrer Piolle avec Bernadette suite à notre exclusion du groupe, c’est ce qu’il nous a dit : « Vous êtes des militants, pas des élus, vous ne voulez pas vous salir les mains. » Ce qui était mensonger. Il y avait deux scénarios budgétaires sur la table de la Majorité : un qui préservait le fonctionnement (agents et subventions) avec « seulement » 9 M€ de diminution sur 5 ans et 132 M€ d’investissement cumulés sur le mandat et un autre qui massacrait les services publics (-39 M€ sur 5 ans) dont entre autres les trois bibliothèques, au bénéfice de l’investissement (162 M€ au lieu des 132 M€), en clair le secteur du BTP. Ils avaient choisi le second et ne voulaient pas en discuter : on n’a jamais voté sur ces scénarios.
Ils caricaturent les militants comme des personnes juste bonnes à gueuler : c’est très méprisant et faux. Dès le début il y a eu une préparation psychologique aux choix qui n’allaient pas plaire aux militants, pour persuader que les seuls gens de confiance étaient les grands élus, le cabinet, les coprésidents de groupe.
L’adjoint aux finances Hakim Sabri était très mal parce qu’il n’avait aucun pouvoir vu que tout le travail était élaboré par le cabinet. Il a failli démissionner au bout d’un an et a aussi envisagé de faire un groupe séparé. Piolle est parvenu à le convaincre de rester. Finalement, il fait son mandat en disant : « La seule fierté que je vais retirer c’est de pas augmenter les impôts des Grenoblois. Je tiens à ça, tout le reste je m’en fous. » Faut voir la réduction de l’idéal. On a un programme de 120 engagements, pour lui ça se termine à « on n’ a pas augmenté les impôts ». Il faut bien dire aussi que la menace de lui retirer sa délégation était présente, notamment lors de la polémique sur la gestion de l’éclairage public (voir encart). À ce moment-là, ça a été le début des réunions très tendues pour culpabiliser les potentiels dissidents.
Ça se passait comment ?
Les 42 élus étaient réunis dans une même pièce et dans les moments les plus tendus, les attachés de groupe et les membres du cabinet n’étaient pas invités. Symboliquement les portes étaient fermées à clef. Sur l’éclairage public, je défendais avec d’autres la possibilité d’avoir un vote différencié puisqu’ils refusaient la régie municipale. On était plus d’une dizaine à vouloir refuser la cession au privé, ce qui aurait pu être un clash retentissant. En face, ils nous culpabilisaient : « Vous vous rendez compte que vous allez taper contre la majorité, que vous l’affaiblissez. » C’était du ressort politique et psychologique. Ils mettaient une grosse pression pour que tout le monde rentre dans le rang. Il fallait vraiment être solide pour maintenir son vote différencié, finalement on a été que cinq.
Je ne comprends pas l’intérêt politique. De toute façon la majorité avait 42 élus sur 59 : si deux, quatre ou dix élus s’abstenaient ou votaient contre, la délibération passait quand même. Ça pourrait être vu comme une richesse, de ne pas voter tout le temps pareil, qu’il puisse y avoir des divergences.
Je suis bien d’accord, mais pour eux, c’est briser la confiance de tes collègues, affaiblir le groupe, trahir la famille… Il y a quelque chose de presque mafieux. La pire des séances fut suite à la fuite des mails internes au Parti de gauche (PG) [NDR : Le Postillon (septembre 2016) avait publié des mails entre élus dans lesquels la première adjointe Élisa Martin affirmait que le plan de sauvegarde était une « connerie »]. Une réunion des 42 élus a été convoquée : au début Élisa Martin pleure, en disant : « Ma carrière politique est foutue »... Des vraies larmes, si, si ! Alan Confesson [NDR : conseiller municipal du Parti de gauche et actuel président de groupe] pleure aussi. Elisa Martin menace : « Ceux qui ont fait ça, je vous prie de croire qu’ils le paieront très cher. » Dans ma tête, ce fut comme si j’entendais Poutine qui disait : « Les Tchétchènes, je les poursuivrai jusque dans les chiottes ! » Tout le monde pensait que c’était moi parce que j’ouvrais beaucoup ma gueule. Mais c’était impossible car je n’ai jamais eu accès à la liste mail interne du PG.
Ensuite, il y a eu un tour de table, obligatoire ! Chacun devait s’exprimer. J’ai dit que je n’avais rien à dire mais Piolle est intervenu : « Mais Guy, tu sais que tout le monde est venu là pour t’écouter. » Alors j’ai dit : « Ah puisque le maire m’autorise à m’exprimer je vais dire ce que je pense. Je trouve ça normal ce qui arrive au PG, vu que les élus ont rompu tous les liens avec les militants. » Ensuite, Antoine Back a balancé : « Je veux que la personne qui a donné les mails prenne la parole là, devant le groupe, et dise, c’est moi ! Et fasse son mea culpa. » La séance aurait dû être enregistrée, ça aurait valu le coup de la diffuser : qui aurait pu croire que les sympathiques écolos se comportent comme des staliniens des années 50 ?
Il y a eu souvent des pleurs ?
Oui, ça m’a stupéfait, par deux fois, Piolle a vraiment pleuré devant le groupe. La première fois, c’est quand il a viré son directeur de cabinet, Gaël Roustan. Il rentre dans la salle tout blême, Roustan était présent dans la salle et il dit : « C’est mon ami mais je suis obligé de m’en débarrasser » sans en donner les raisons qui sont toujours restées mystérieuses. Tout le monde était sidéré. Après, on a pensé que Roustan n’allait sans doute pas assumer facilement le plan dit « de sauvegarde » et il fallait une « tueuse » comme Odile Barnola [NDR : actuelle directrice de cabinet, ancienne collègue de Piolle chez HP].
Les pleurs produisent une tension psychologique très forte, tu ne peux plus vraiment t’exprimer à ce moment là. Tu te dis : « Ça le touche vraiment », tu vas pas t’amuser à parler politique, ça devient hors de propos. Le politique n’a plus sa place, parce que c’est devenu psychologique. Ça devient une affaire personnelle et ça empêche tout débat.
C’est les principaux travers des partis : ne pas pouvoir débattre, ne pas critiquer la ligne du parti, ne pas penser par soi-même et prendre position . Mais là, vous étiez une majorité hétéroclite, avec plusieurs sensibilités, dont des personnes sans étiquette. De ce que tu racontes, ça fonctionnait encore pire qu’un parti. Il n’y avait même pas plusieurs courants organisés, même pas de débat possible ?
C’était effectivement pervers. Mais il y a quand même eu des débats. Sur la votation citoyenne par exemple, on a beaucoup bagarré. Mais quand ils ont mis le seuil de 20 000 voix pour rendre la décision du vote exécutoire, c’était très clair qu’ils voulaient que ça n’aboutisse jamais. Ça, c’était un diktat de l’exécutif, Verts et PG. Le Politburo ne voulait pas qu’une votation puisse bousculer ses plans. C’était dit : on a été élus sur un programme, il est hors de question que la population décide autre chose par un vote. Mettre en place le dispositif « pétition + vote » c’était juste pour rendre l’illusion de la co-construction et de la concertation. Au final, c’est une véritable imposture.
On ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de débats, mais c’était toujours la ligne des cadres, des plus aguerris, qui l’emportait. Ou bien Piolle disait : « Je ne suis pas d’accord avec vous, ça se passera comme ça, point barre. » Dans les réunions, comme il fait au Conseil municipal, il prenait toujours la parole en dernier et sifflait la fin de la récré. En gros « c’est moi le chef, même si j’ai pas de cravate ». Et Elisa Martin acquiesçait. Elle ne s’est jamais intéressée au budget, les mails que vous avez publiés reflétaient vraiment la réalité. Elle ne s’est jamais opposée à Piolle, bien au contraire.
Pourquoi le PG n’a-t-il pas été plus critique, notamment vis-à-vis du plan de sauvegarde et de la fermeture des bibliothèques ?
Au début, je comprenais pas du tout la position du PG. Je m’attendais à la politique menée par les Verts, mais je croyais que le PG serait un allié puissant pour pousser des politiques plus sociales. Mais Elisa Martin disait tout le temps « Eric, c’est le bon sens ce qu’il dit, il faut préserver cette majorité ». Elle n’avait pas un discours revendicatif ou offensif comme elle peut avoir en réunion publique où les gens peuvent se dire : « Ah tiens au moins elle a du cran celle-là ». Elle était le bon petit soldat de l’exécutif Vert.
Peu à peu, on a compris que tout avait été pipé par un accord EELV-PG au plus haut niveau avec Mélenchon. Il avait besoin d’apparaître « écolo-compatible » donc il a soutenu à mort ce rassemblement grenoblois très médiatisé. Il fallait que ça marche et il ne devait donc pas y avoir de vagues à Grenoble. Elisa Martin laissait faire les débats, ne prenait jamais part, à la fin elle disait « Eric a raison », c’était le signal pour ses troupes du PG, qu’il ne fallait pas aller plus loin.
Pour revenir au fonctionnement interne, comment se fait-il que vous vous soyez fait virer suite à une simple abstention sur un vote ?
La première année, on a longuement débattu de la charte de fonctionnement interne à la majorité. En bataillant, on a obtenu la possibilité de faire un vote différencié sous quatre conditions : il fallait prévenir à l’avance, bien exposer ses arguments au groupe, privilégier l’abstention plutôt que le vote contre et s’entendre sur la communication externe avec la presse. Dans la charte, il n’a jamais été question du vote du budget. Mais moins de deux ans plus tard, on s’est fait virer avec Bernadette parce qu’on s’était abstenus sur le budget ! Là aussi ça a été le festival. La semaine d’avant, Bernadette a intelligemment coupé son téléphone. Mais moi j’ai eu pendant une semaine tous les jours des coups de fils des co-présidents de groupe, Laurence Comparat et Claus Habfast. Au début, ils me disaient assez gentiment : « Tu sais Guy, c’est pas bien, on est une grande famille. » À la fin, c’était : « Tu vas voir, ça va être très violent. » Finalement, ils ont imposé une modification de la charte par un vote en urgence à main-levée deux heures avant le Conseil municipal sur le budget, qui disait que « l’appartenance au groupe impliquait le vote individuel et positif du budget ». Ainsi en s’abstenant, « nous nous excluions nous-mêmes de la majorité ». J’ai beaucoup appris de certaines méthodes « politiques » ce jour-là.
Pourquoi n’êtes-vous pas parti avant ?
Parce que quand j’en discutais avec les gens autour de moi ils me disaient de rester, que les positions que je défendais (le respect des engagements) représentaient quelque chose de fort. Je restais pour dire qu’on pouvait faire autrement.
Je restais mais j’étais malheureux comme une pierre parce que je me demandais : « Qui a le pouvoir, qui décide ? Est-ce que je me trompe pas ? Est ce qu’ils n’ont pas raison, la politique c’est comme ça, tu te fais un peu des illusions ? »
Et puis j’étais vraiment malheureux pendant les conseils. Parce que se taper des conseils de dix heures d’affilées, parfois jusqu’à quatre heures du matin, et ne rien dire, c’était très oppressant. Je rentrais chez moi avec la sensation de ne plus avoir de parole, de ne servir à rien. D’avoir pour unique rôle de lever le bras.
J’avais le sentiment que tout cela était inutile. Je me disais : « À quoi ça sert ces réunions, ces séminaires si on fait la même politique que le PS ? »
L’équipe actuelle n’a rien de « disruptif » par rapport à l’ancien monde, comme dirait Macron ?
Il n’y a aucune différence de fond avec le PS. Honnêtement j’arrive pas à voir. Par rapport aux discours sur l’urgence écologique, la ville de Grenoble est censée être à la pointe, mais il n’y a pas grand chose. Il faut regarder dans le concret, pas dans les annonces. Enlever une partie des publicités, ok : les socialistes l’auraient pas fait. Mais bon le reste, les autoroutes à vélo ou les budgets participatifs ils auraient fait globalement la même chose. D’ailleurs les socialistes font des budgets participatifs à Rennes, Paris et ailleurs. Je ne dis pas que c’est mal, mais disons qu’on est beaucoup sur la fioriture, sur l’affichage. Sur le dur, l’urbanisme, le logement, les transports, ça rame. Le PDU (Plan de déplacements urbains) et le PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal), ce sont des trucs fondamentaux qui transforment réellement une ville, mais les ambitions sont vraiment minables. Dans le PDU, on vante la voiture électrique et la voiture autonome, des trucs pas du tout écolos. Dans le PLUI, ils annoncent qu’ils veulent réduire la consommation des espaces agricoles, mais quand on regarde, il s’agit en fait de réduire l’augmentation de la consommation et non pas la consommation des espaces agricoles. La nuance est de taille. Au lieu de consommer douze terrains de football on va en consommer dix, mais on va toujours en consommer. Quand tu étudies vraiment les choses, tu vois que ce n’est pas du tout ambitieux. Quand je vois les jeunes qui se mobilisent sur l’urgence climatique et qui soutiennent Piolle, je me dis qu’ils ne savent pas ce qui est décidé véritablement... Il faut dire que la communication municipale est très puissante, pas moins de 18 personnes au service com’ et de puissants relais de presse nationale. J’ai constaté de nombreuses fois une image incroyablement positive de Grenoble à l’extérieur. Des gens à l’autre bout de la France me disent : « C’est vachement bien ce qui se passe à Grenoble », mais quand tu leur demandes de dire exactement quoi, là ils en sont bien incapables.
Et puis il y a le social : je suis allé à l’AG de la MJC Parmentier il y a quelques jours, ils vont devoir réduire la voilure encore plus, enlever des activités, réduire le personnel. Parce qu’ils ont 35 000 euros de moins par an. Les MJC on n’en parle jamais, la mairie s’en fout mais elles crèvent à petit feu.
Il y a quand même des différences sur des sujets importants : suite à votre initiative, ils viennent par exemple de voter un arrêté anti-remise à la rue.
Oui c’est vrai, et sur proposition de notre part, du jamais vu jusque-là. Il faut juste préciser que c’était la troisième fois que l’on proposait ce même type de vœu et que l’on est en période pré-électorale (c’est comme la décision de rendre les bibliothèques gratuites après en avoir supprimé trois). Surtout il va falloir bien veiller à comment c’est appliqué, sinon c’est pipeau complet. Attendons de voir...
Finalement, l’expulsion du groupe, ça a été plutôt une libération ?
Il y a des avantages et des inconvénients, on n’a plus accès à tous les documents, à la liste de diffusion interne, mais on a retrouvé la parole. Dès le début, quand on a pris position contre la majorité sur l’éclairage public, des gens qu’on ne connaissait pas nous ont félicités : « Ah enfin on comprend qu’il y a du débat dans la majorité. » Depuis, des proches et des inconnus trouvent qu’on a un positionnement super et qu’il faut le garder. Ce qui me plaît particulièrement, c’est qu’on n’est pas tous seuls avec Bernadette. Il y a des personnes autour de nous, des groupes, des collectifs qui nous aident et nous soutiennent, c’est ce qui donne sens à notre positionnement.
Depuis quelques mois, des gens nous demandent si on se présente aux prochaines municipales. Faire une liste, une campagne, siéger pendant 6 ans, c’est vraiment un gros boulot… mais il faut une vraie liste de gauche en 2020 qui soit un vrai relais des habitants, ne supprime pas les pétitions qui lui déplaisent, ne fasse pas de cadeaux aux multinationales, ne financiarise pas les logements sociaux… Donc, on y travaille et ça commence à prendre forme.
Dans la tribune réservée à l’expression des groupes d’opposition du journal municipal, vous posez avec deux bouquins. Bernadette a Le Prince de Machiavel et toi, tu es en train de lire le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Pourquoi ?
Les bouquins c’était un clin d’œil bien sûr aux trois bibliothèques supprimées. Quant au choix des titres, lorsque j’ai été viré, je voulais lire quelque chose qui me nourrirait, me permettrait de comprendre ce que j’ai vécu. Je l’avais lu à 18 ans, à l’époque je n’avais pas trouvé ça très intéressant. Mais là, ça a été lumineux... Ce mec, quand il écrit le Discours en 1650, il a 18 ans et c’est incroyable, j’ai trouvé que le fonctionnement de la majorité municipale était très bien décrit. Il donne les ressorts de la servitude. Pour lui elle s’oppose à la liberté qui est dans la « nature » même de l’humain. La servitude pour lui est toujours « volontairement » acceptée ou admise et cela par trois mécanismes : l’habitude (c’est comme ça ma brave dame, y a les forts et les faibles !), l’imagination (c’est-à-dire la porte ouverte à la manipulation) et la corruption. Ici, le terme doit être pris dans son acception générale, c’est-à-dire de tous les avantages qu’il y a à être élu, financiers pour certains mais surtout psychologiques. Tu te sens quelqu’un quand t’es élu, et ça c’est pas rien. Par exemple, avant d’avoir ce statut d’élu je ne parlais jamais à la presse... Je reconnais qu’il y a du plaisir à sentir que t’as ce petit pouvoir. Quand un journaliste te dit « Oui ça m’intéresse de vous écouter », tu te dis « Ah tiens tout d’un coup on s’intéresse à ce que je dis » même si tu dis la même chose qu’avant. Par ailleurs, La Boétie l’écrit en l’appliquant à tous les pouvoirs et à la société en général. Une révolution c’est quand une grande partie du peuple s’émancipe de cette servitude. Je ne peux que partager ce point de vue.
Pour les prochaines municipales, que conseillerais-tu à une liste qui voudrait vraiment rompre avec cette politique-là, tant sur le fond que sur la forme ?
Je pense qu’il ne faut pas avoir l’objectif de vouloir faire à tout prix plusieurs mandats parce que sinon l’enjeu de la réélection est trop important. Piolle a annoncé dès le début qu’il voulait faire deux mandats, ce qui a beaucoup pesé sur les choix de la majorité, comme on le voit par exemple avec tous ces chantiers qui poussent quelques mois avant les élections, un classique.
Et puis, principalement, il ne faut surtout pas couper les ponts avec les milieux desquels tu viens, les milieux politiques, sociaux... Il faut discuter des affaires municipales avec les habitants. C’est contre cela qu’ils ont insisté au début : vous n’en discuterez avec personne, même pas dans les groupes politiques qui ont fait la campagne. Ça, c’est la clef. À Ensemble, on a voulu faire un débat sur le plan de sauvegarde, pour proposer des alternatives budgétaires. Mais on ne pouvait même pas avoir les documents, même en faisant partie de la majorité. Antoine Back a annoncé : « Aucun document ne sortira de la mairie ».
Il y a aussi la question de la méthode de travail. Les gilets jaunes militent par exemple pour le tirage au sort. Plus que le tirage au sort, pour moi c’est la méthodologie qui importe. Avant de faire une réunion, il faut que tout le monde ait reçu tous les documents en avance, les comptes rendus de la précédente réunion bien sûr, que plusieurs scénarios puissent vraiment être étudiés et puis rendre compte aux habitants. C’est des trucs tout simples qui me paraissent bien plus importants que le tirage au sort lui-même. Parce que des gens tirés au sort ou des élus sans expérience politique comme moi peuvent être très facilement manipulés.
Après il y a les grandes questions : tu fais de la politique pour quoi ? Quel futur tu défends ? La vision dominante, c’est celle du progrès où, comme disent les libéraux Macron et compagnie, les premiers de cordée tirent la société vers le haut et les autres sont des loosers. C’est une image de la société qui me déplaît fortement et Piolle ne s’en éloigne pas du tout. Il pense faire le bonheur des gens parce que lui, il sait, il a la connaissance, il est compétent et préparé à être premier de cordée... Sympathique ou pas, il a une posture qui l’éloigne de la population, sauf des catégories professionnelles supérieures comme lui.
Au conseil municipal du 13 mai, il y a eu une délibération promouvant un TER grenoblois. Super ! Mais dans les explications, ils parlent surtout de l’attractivité du territoire et de Grenoble comme le deuxième pôle scientifique français, etc. L’écologie n’est citée qu’une fois en tout petit. Ils sont toujours là-dessus, l’attractivité, l’innovation. On est dans un train qui avance, faut avant tout que le train soit très rapide et à l’heure. C’est pas comme dans le film L’an 01 de Gébé : « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste. »
(1) Le 28/09/19 Christine Garnier nous a envoyé un rectificatif à propos de cette citation en disant que « c’est évidemment faux et n’a d’ailleurs aucun sens. Ce que j’avais dit concernait uniquement les rares informations à garder secrètes, souvent temporairement. J’ai conseillé aux autres élu.e.s de n’en parler à personne, pas même à leur conjoint.e, c’est tout. »
• En septembre 2014, à la réception du nouveau parking Arlequin, une régie de gestion est refusée sous prétexte que toutes les délégations de service public (DSP) vont être renouvelées en 2018 et que la mise en place d’une régie se fera à ce moment-là. Depuis, la Métropole a refait une DSP avec une société publique (SEMOP) dont la moitié du capital appartient à… Effia (l’ancien délégataire).
• En octobre 2014, six mois après l’élection, la mairie confie la gestion de l’éclairage public, historiquement réalisé par la Sem GEG (Gaz électricité de Grenoble) à Citéos, une boîte privée ayant notamment pour actionnaire Vinci. Les salariés de GEG s’insurgent, envahissent et annulent un conseil municipal. Cinq élus de la majorité, militant pour le choix d’une vraie régie municipale, ont voté contre la délibération.
• En avril 2016, la majorité annonce l’augmentation de l’abonnement du stationnement sur voirie : réunions, pétition des Unions de quartier, premier et unique vote selon le processus mis en place, vote perdu car minoritaire pour la majorité Piolle mais non appliqué puisque inférieur aux 20 000 votants requis (7 000 votants seulement).
• En mai 2016, la mairie présente le bien mal nommé « Plan de sauvegarde des services publics locaux » pour faire face à la baisse des dotations de l’Etat. Au programme : suppression d’environ 150 postes, fermeture de trois bibliothèques de quartier, coupes dans le service de la santé scolaire, regroupement de maisons des habitants, etc. Ce plan entraîne des débats houleux à l’intérieur du Parti de gauche et le départ de plus de la moitié des militants (voir notamment Le Postillon n°37).
• En novembre 2016, la suppression des trois bibliothèques donne lieu à une seconde pétition qui recueille plus de 4 000 signatures mais son vote sera purement et simplement annulé par le maire lors du Conseil de juillet 2017 pour éviter tout vote sanction contre sa politique.
• Sur la galerie de l’Arlequin à la Villeneuve : après avoir été de fervents opposants à la démolition du 50 (durant le mandat précédent), les élus ne s’opposent plus à celle du 10-20, et font provisionner à l’Anru les 27 millions nécessaires à la démolition du 90, du 100 et du 110.
• Polémique en cours sur les offices HLM : sous prétexte de les sauver, la Ville et la Métropole ont prévu de faire disparaître le bailleur social Actis en le fusionnant avec la société « public-privé » Grenoble Habitat (4 000 logements). Ainsi les 12 500 logements sociaux d’Actis deviendront monnayables et des investisseurs privés pourront rentrer au capital. Au passage, la Ville vendra pour environ 30 millions d’euros, la moitié des actions qu’elle détient dans Grenoble Habitat, de quoi largement gonfler son budget d’investissement pour un second mandat. Tant pis si dans la nouvelle structure les salariés et les locataires perdront du pouvoir au profit des actionnaires... Le Dal (Droit au logement) 38 et d’autres collectifs se battent actuellement contre ce projet.
Ancien infirmier puis formateur dans l’aviation légère, Guy Tuscher a aussi été président de la MJC Parmentier et de l’union locale des MJC (on l’avait interrogé à ce sujet dans Le Postillon n°19). Il n’avait aucun engagement politique avant de se retrouver sur la liste d’Éric Piolle en 2014. Élu sans étiquette, il a ensuite adhéré au parti Ensemble (parti de Clémentine Autain). Suite à son abstention sur le vote du budget en décembre 2016 (année du plan de sauvegarde), il a été exclu de la majorité avec Bernadette Richard-Finot, élue du Parti de gauche. Depuis, ils forment au Conseil municipal le groupe « Ensemble à gauche ».
Au niveau génétique, Le Daubé (27/10/2018) nous a appris qu’il était l’un des neveux de l’abbé Pierre.