PS! "Le PS ne survivra pas" Christian Paul chef de file des "frondeurs" du PS
Christian Paul: «Qu’on se rassure! Le PS ne survivra pas»
25 NOVEMBRE 2016 PAR LÉNAÏG BREDOUX
Le député et chef de file des ailes gauches du PS appelle à la création d’un « nouveau parti de la gauche française » après l’élection présidentielle. D’ici là, il appelle à battre François Hollande dans la primaire.
À la veille du second tour de la primaire de la droite, dont François Fillon est favori, le député socialiste Christian Paul s'inquiète d'une « révolution conservatrice et néolibérale à la française ». Mais s'il y voit une nouvelle « droitisation de la droite », il juge l'exécutif responsable de « l'affaiblissement historique de la gauche française ». Auteur d'un essai publié récemment par la Fondation Jean-Jaurès, Les Îles et l’archipel : pourquoi la gauche (re)vivra, le chef de file des “frondeurs” de l'Assemblée et des ailes gauches du PS appelle à la réinvention de la gauche et à la création d'un nouveau grand parti au lendemain de la présidentielle. « Il faut un nouveau parti et un parti d’un nouveau type. » D'ici là, il espère encore éviter l'explosion totale de son camp en 2017 en promouvant la primaire prévue en janvier prochain. Il espère la défaite de François Hollande au profit d'un « candidat de la gauche de gouvernement alternative ».
Comment analysez-vous les résultats du premier tour de la primaire de la droite et du centre ?
Christian Paul. Avec François Fillon, nous avons les ingrédients d’une révolution conservatrice et néolibérale à la française. Nicolas Sarkozy était une personnalité plus baroque, davantage portée sur la guérilla politique que sur une construction idéologique. C’est évidemment un immense motif d’inquiétude.
Le succès de François Fillon est-il le signe d’une droitisation de la société française ?
Je n’ai jamais avalé la thèse de la droitisation de la société française. En 2012, les élections présidentielle et législatives avaient démonté l’idée selon laquelle la France serait entraînée dans une spirale irrésistible. Mais je suis prêt à considérer qu’il y a une droitisation de la droite française. Nous avions d’ailleurs déjà assisté avec Nicolas Sarkozy à un retour réactionnaire sur le plan intellectuel.
Au début du quinquennat, le mouvement d’opposition au mariage pour tous a pourtant réussi à entraîner plusieurs millions de personnes dans la rue !
Il y a un durcissement identitaire de la droite française. Est-ce qu’il entraîne le pays ? Nous verrons lors de l’élection présidentielle. Est-ce que les défenses immunitaires du projet républicain permettront, au premier tour, de trouver les antidotes à cette révolution conservatrice ? En d’autres temps, oui, certainement. À l’issue du quinquennat de François Hollande, c’est probablement plus difficile. Car ce mandat a conduit à un affaiblissement historique de la gauche française, sans précédent depuis 1971, qui rend extrêmement difficile la contre-offensive. Si la menace du Front national ou celle du retour revanchard de la droite ne parviennent pas à ressouder la gauche française, c’est parce qu’elle s’est disloquée à l’épreuve du pouvoir.
Pensez-vous comme certains socialistes que nous sommes en 1939-1940 ?
Un poison des années 1930 circule aujourd’hui. Nous avons d’immenses dangers devant nous, et la gauche s’est très mal préparée à les affronter. D’abord à cause des virages programmatiques sans préavis du quinquennat. Le virage social-libéral n’est pas un aggiornamento de l’ensemble de la gauche mais le Bad-Godesberg d’une petite minorité agissante au sommet de l’État. François Hollande a également désarmé la gauche : il a provoqué son émiettement, en refusant de construire un contrat de majorité solide dès la composition du premier gouvernement, en laissant sans réponse toutes les alertes, du départ de Montebourg à l’opposition de 120 députés à la déchéance de nationalité, en passant par l’émancipation parlementaire [son terme pour évoquer la fronde d’une partie des députés PS – ndlr].
Quand nous avons demandé, au début de l’année 2016, la grande primaire de la gauche et des écologistes, c’était justement pour construire l’outil politique capable de contrer la révolution conservatrice que l’on sentait arriver avec Marine Le Pen et l’affaiblissement historique de l’exécutif.
En quoi ce « poison des années 1930 » vous oblige-t-il ?
Aujourd’hui, on le dit et on n’en tire aucune conséquence.
Y compris vous ?
Cela nous a obligés à sonner l’alerte dès le printemps 2014, quand nous avons prophétisé la possible catastrophe politique de 2017. Je l’ai ressentie quasiment physiquement quand j’ai vu la carte électorale de la Nièvre [où il est élu – ndlr] en noir au soir du premier tour des élections municipales. Dans 80 ou 90 % des communes de ce département historiquement de gauche, le FN était en tête. Cette carte en noir s’est dupliquée aux élections européennes et régionales.
Cela nous a donc obligés à l’alerte. Et cela aurait dû conduire le pouvoir à construire avec nous, et avec beaucoup d’autres, un contrat de majorité, une nouvelle alliance progressiste, un agenda politique positif.
Après les élections régionales [en décembre 2015 – ndlr], qui étaient pour moi le dernier moment où François Hollande pouvait prévenir la dislocation maximale et ressouder largement la gauche, nous lui avons proposé un calendrier politique progressiste. Il y a répondu par la déchéance de nationalité et la loi sur le travail.
Nous avons alors répondu par la primaire : elle est le dernier outil démocratique qui permet à la gauche du gouvernement, dans toutes ses composantes, de ne pas totalement exploser en vol à six mois de l’élection présidentielle. Je le dis souvent mais si nous sommes encore ensemble, c’est parce qu’il y a la primaire. Nous devons la réussir.
Quel sens a une primaire à gauche sans Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ? Est-ce que la dislocation de la gauche n’est pas déjà effective ?
C’est la raison pour laquelle je n’ai pas cessé depuis le début de l’année de souhaiter que la primaire aille de Hollande à Mélenchon, ou aujourd’hui de Macron à Mélenchon. Ils sont déjà partis. Mais leur départ les engage. Et notre appel devrait les obliger.
Pourquoi ?
Parce qu’ils font comme si nous n’étions pas à la veille d’une catastrophe politique.
Cet argument est celui qu’utilise aussi le pouvoir, y compris vis-à-vis de vous ! Va-t-on entendre le refrain de Mélenchon et Macron, responsables de la défaite, comme Taubira, Besancenot et Mamère l’auraient été en 2002 ? Ils sont le reflet de vos propres faiblesses…
Évidemment. Le pouvoir et le PS ont largement pesé pour qu’il n’y ait pas une grande primaire de toute la gauche, y compris parce qu’ils étaient persuadés qu’ils la perdraient. Quand j’appelle à la responsabilité, je ne fais pas l’économie du bilan. Au contraire ! C’est en faisant dès maintenant l’inventaire que l’on peut espérer que cette primaire soit utile. D’abord en la gagnant…
C’est quoi gagner la primaire ?
Cela veut dire que François Hollande la perd. Et qu’elle désigne un candidat de la gauche de gouvernement alternative. S’il doit y avoir un sursaut et un rassemblement face à cette ambiance années 1930, François Hollande n’est pas en situation de le faire. Son bilan, son exercice du pouvoir et sa vision de l’avenir du pays sont aujourd’hui incapables de coaguler la gauche. Pour le dire autrement : la gauche ne fera pas archipel avec François Hollande en 2017.
Je suis extraordinairement inquiet de l’impression d’un enchaînement irrésistible. Pour l’instant, personne ne parvient à arrêter la dégringolade infernale que vit la gauche française dans toutes ses formes. Personne n’est à l’abri ou immunisé. Et ceux qui pensent, seuls, avoir la vérité, se trompent.
Pourquoi personne n’y arrive ? Pourquoi vous n’y arrivez pas ?
À cause de l’extraordinaire capacité des institutions de la Ve République à protéger le président.
D’où l’idée que vous reprenez dans votre livre d’un renouveau démocratique comme préalable à la reconstruction de la gauche.
Oui. Et même plus que cela. Il est le préalable à la mise en œuvre d’une politique progressiste.
Mais comprenez-vous que pour une partie des électeurs de François Hollande en 2012, il n’est plus possible de participer à une primaire dont il pourrait sortir vainqueur ? Parce qu’ils considèrent qu’il n’est plus de gauche…
C’est de notre responsabilité de ne pas zapper l’élection présidentielle. Nous serions accusés de désertion si nous étions déjà projetés dans l’après. Quand nous discutons avec les forces de gauche, les communistes, les écologistes, la gauche intellectuelle, associative, syndicale, nous ne sommes pas dans la même situation de Manuel Valls et ses gauches irréconciliables.
Vos interlocuteurs peuvent vous rétorquer que l’ensemble des socialistes, y compris vous, ont produit François Hollande au pouvoir…
Ce sont 3 millions de personnes à la primaire qui l’ont choisi.
Mais il est issu du PS !
Oui. Mais sauf à remettre en cause le suffrage universel, il est aussi le produit de la société française. La question désormais est de savoir si la gauche française est capable de penser et d’agir ensemble, avant et après l’élection présidentielle. Cela ne nous est pas impossible. Nous sommes dans un paysage politique complètement chamboulé et nouveau : il n’y a pas de science exacte. Je ne suis pas adepte de la méthode Coué mais les batailles qu’on gagne sont celles que l'on mène. La primaire doit y contribuer. Ensuite, après la présidentielle, nous ferons face à une deuxième obligation : nous voyons bien qu’une certaine détestation du Parti socialiste s’est développée. Je la vis comme une brûlure. Mais qu’on se rassure ! Dans sa forme actuelle, le PS ne survivra pas. Cela n’est ni possible ni souhaitable.
Pourquoi ?
Il y a eu trois défaites électorales depuis le début des années 1990 : 1993, 2002 et 2007. Avec, à chaque fois, des protagonistes différents mais une même conséquence : la rénovation intra-muros. C’était Jospin en 1993, le NPS [Nouveau Parti socialiste – ndlr] comme aiguillon en 2002 et Martine Aubry après 2008. Ce scénario est à bannir. Nous ne sommes plus dans le temps où il suffirait d’ouvrir les portes et les fenêtres, pour reprendre la formule de Martine Aubry. Cela ne servirait à rien. Cette fois, il faut une rupture fondatrice.
D’abord parce que nous allons finir le quinquennat avec 50 000 adhérents quand on nous en promettait 500 000 ! Le PS n’a plus dans ses rangs ni l’homogénéité suffisante, ni les énergies humaines pour mener une rénovation à l’intérieur. Il est aussi souhaitable de procéder autrement parce qu’il y a dans la société française des forces et des énergies que je crois disponibles pour la réinvention de la gauche française.
Il ne s’agit pas de parler d’une recomposition, d’un meccano ou de la Belle alliance populaire qui est une création artificielle et sans lendemain, avec son bestiaire incroyable venu de la nuit des temps de la gauche. Tout cela n’a plus de sens. On ne va pas non plus passer l’année 2017 à attendre un congrès extraordinaire du PS, qui serait l’ultime avatar de cette dévitalisation et de cette démoralisation de la gauche. Je pense qu’il faut à la fois réinventer le projet et l’organisation. Il faut un nouveau parti et un parti d’un nouveau type.
C’est ce que vous voulez dire en parlant, dans votre livre, de « sortir sans partir » ?
Nous nous sommes posé la question de partir pendant la période parlementaire. Mais il ne faut pas céder au vertige du groupuscule. Jean-Pierre Chevènement ne s’en est jamais vraiment remis. Et Jean-Luc Mélenchon, en dehors des présidentielles, a une extraordinaire difficulté à parler avec les organisations politiques : il existe essentiellement dans la fonction messianique de l’élection présidentielle.
Voilà pourquoi il faut demain un grand parti politique de la gauche française. Au-delà de la possible OPA de Manuel Valls sur le PS après la présidentielle, et la tentation conservatrice de la direction actuelle, il y a cette troisième voie qui doit aller très vite après l’élection.
Qui allez-vous soutenir à la primaire ?
Je parrainerai un candidat, probablement la semaine prochaine.