17 novembre: et si on mettait le pays en panne d'essence?
A cela, plusieurs raisons.
Pour des millions de Français, le volume de carburant qu’ils consomment n’est pas un choix. C’est une dépense contrainte. Ce n’est pas par choix que des millions de gens prennent leur voiture pour aller au boulot : c’est parce que les transports en commun sont de toute façon trop peu développés pour être le moyen majoritaire d’accès au lieu de travail. Ce n’est pas par choix que des millions de gens déposent les enfants à l’école en voiture : là encore, quand on ne vit ni à Paris ni dans une autre grande ville, l’état des transports collectifs ne permet pas de faire autrement. Ce n’est pas par choix que dans la ruralité abandonnée, des millions de gens doivent faire une heure de route voire davantage pour aller chez le médecin : c’est parce qu’ils vivent dans un « désert médical ». Ce n’est pas par choix que des millions de gens doivent de même prendre longuement la voiture pour se rendre dans tel service public, par exemple La Poste ou la trésorerie : c’est parce qu’à force de fermeture de services publics en application de l’austérité obligatoire des traités européens, de plus en plus de foyers vivent géographiquement éloignés, voire très éloignés, des services publics de base. Ce n’est pas par choix que les chauffeurs de taxi, les chauffeurs ubérisés, les routiers, les livreurs, les marins-pêcheurs, consomment du carburant : c’est parce que leur travail l’exige et parce qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, une offre de consommation d’énergies non fossiles suffisamment développée en France.
Derrière son imposture pseudo-écologique, en réalité Emmanuel Macron fait simplement du racket fiscal des classes moyennes et populaires
Puisque par définition, les gens ne peuvent pas baisser leurs dépenses contraintes de carburant, augmenter les taxes sur celles-ci c’est du racket. L’argument pseudo-écologique de l’augmentation des taxes pour pousser à consommer moins est par ailleurs un mensonge puisque, bis repetita : les gens ne peuvent pas baisser leurs dépenses contraintes. Ce même argument est aussi une hypocrisie car plus de 80% du produit des taxes sur la consommation de carburant ne financent pas des politiques écologiques. Ces trois observations suffisent à démontrer ceci : derrière son imposture pseudo-écologique, en réalité Emmanuel Macron fait simplement du racket fiscal des classes moyennes et populaires.
Ce racket fiscal déguisé en écologie participe d’un choix politique systématique du « président des riches ». D’une main, il baisse les taxes qui pèsent lourd sur les riches et les ultra-riches. Il s’agit par exemple de l’impôt sur la fortune partiellement supprimé, ou du plafonnement de la taxation des dividendes, des intérêts et des plus-values. « Et en même temps », de l’autre main, Emmanuel Macron augmente les prélèvements obligatoires qui pèsent lourd sur les classes moyennes et populaires. Par exemple, quand il augmente la CSG, pour les riches cela ne fait que réduire à la marge leur capacité à épargner, mais pour les « classes moyennes inférieures », cela entame directement leur niveau de vie quotidien.
En d’autres termes, ce « Robin des riches » pratique une guerre sociale, pour les riches et contre tous les autres, au moyen de la redistribution des richesses à l’envers.
C’est contre cette injustice fiscale systématique imposée par Emmanuel Macron qu’il faut se mobiliser. C’est pourquoi la colère populaire contre l’augmentation des taxes sur la consommation de carburant est juste et saine. Et c’est pourquoi, comme l’a répétitivement affirmé Jean-Luc Mélenchon, la France insoumise approuve et soutient la mobilisation populaire qui résulte de cette colère.
La bonne réponse, c’est une politique massive d’investissement public ayant pour but la sortie rapide et totale du pétrole
A cet égard, je dois amicalement contredire ceux qui, à gauche, récusent cette mobilisation populaire au motif qu’augmenter les taxes sur la consommation de carburant serait une nécessité écologique. En effet, bis repetita : les gens ne peuvent pas baisser leurs dépenses contraintes de carburant. Donc, augmenter les taxes sur celles-ci pour baisser leur consommation, c’est au mieux une erreur de raisonnement, au pire un mensonge cynique pour déguiser en écologie du pur racket fiscal des masses ; et de toute façon, cela ne fera pas baisser significativement la consommation de carburant des ménages puisque celle-ci est avant tout contrainte.
La bonne réponse au problème de la consommation d’énergies fossiles n’est pas de punir fiscalement les millions de gens qui ne peuvent pas faire autrement. La bonne réponse, c’est une politique massive d’investissement public ayant pour but la sortie rapide et totale du pétrole : par exemple en subventionnant les voitures électriques et les autres formes de voiture peu ou pas consommatrices d’énergies fossiles ; par exemple en développant massivement les transports publics électriques (ce qui implique d’intégralement re-nationaliser le ferroviaire français) ; par exemple en forçant les entreprises et les administrations à mettre au moins 25% de leurs salariés en télétravail chez eux ; et ainsi de suite. Bref, soutenir la punition fiscale des dépenses contraintes de carburant, au lieu de soutenir l’investissement public massif dans la sortie du pétrole, c’est une erreur.
Les forces de gauche doivent s’investir massivement dans cette colère populaire et en déloger les nouveaux poujadistes
De même, je dois amicalement contredire ceux qui, à gauche, refusent de soutenir cette mobilisation populaire au motif qu’il s’y trouve quelques activistes d’extrême droite. C’est absurde ! En effet, si l’on admet ce raisonnement, alors on offre à tout activiste d’extrême droite un immense superpouvoir : celui de paralyser l’action des forces de gauche par sa simple présence. Avec la même logique, si un seul électeur d’extrême droite annonce qu’il va voter pour un candidat de gauche au second tour d’une élection, ce candidat doit immédiatement se retirer de l’élection. Autre exemple : avec la même logique, si l’extrême droite annonce qu’elle approuve la mobilisation des cheminots (un vice-président du FN le fit voici quelques années), les forces de gauche doivent immédiatement abandonner les cheminots à leur sort. Réfléchir ainsi, c’est remplacer « No pasarán » (« Ils ne passeront pas ») par « No pasaremos » (« Nous ne passerons pas »).
Pour ma part, je retourne l’argument : précisément parce qu’il est hors de question de laisser l’extrême droite récupérer la colère populaire, et la transformer en un bête poujadisme anti-taxes sans débouché politique concret, les forces de gauche doivent s’investir massivement dans cette colère populaire et en déloger les nouveaux poujadistes.
Plus profondément, voici une raison majeure de soutenir et d’approuver la mobilisation populaire du 17 novembre : elle a le potentiel de provoquer la défaite d’Emmanuel Macron et de son monde. La lecture de la magistrale Histoire populaire de la France de Gérard Noiriel (éd. Agone) nous rappelle en effet que, dès l’ère médiévale et jusqu’à nos jours, la quasi-totalité des soulèvements populaires eurent pour déclencheur le racket fiscal des masses, la dégradation brutale de leurs conditions d’existence, ou l’addition des deux. Nous sommes dans cette situation aujourd’hui : d’une part, la majorité de la population subit le racket croissant de l’injustice fiscale d’Emmanuel Macron ; d’autre part, cette même majorité en colère a basculé dans ce que le sociologue Guy Standing appelle le « précariat » - c’est-à-dire, en clair, la France des débuts de mois difficiles. Or, si la mobilisation du 17 novembre provoque le blocage des raffineries du pays et d’un nombre significatif de stations essence, alors, l’économie du pays sera paralysée au bout d’une poignée de jours parce qu’elle sera littéralement tombée en panne d’essence. Les oligarques multimilliardaires, les dirigeants des grandes firmes, et ceux des grandes banques et compagnies d’assurance, exigeront alors eux-mêmes d’Emmanuel Macron qu’il capitule, pour que le fonctionnement normal de l’économie reprenne.
Pour toutes ces raisons, être de gauche, c'est épouser les colères légitimes populaires ; et non pas se pincer le nez envers celles-ci.