Antisionisme et antisémitisme, le sens des mots dans l'Orient le jour
«L’antisionisme est une des forme formes modernes de l’antisémitisme », a déclaré avec beaucoup de solennité Emmanuel Macron, lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, le 20 décembre dernier. L’antisémitisme en France, en 2019, requiert une réponse empreinte de gravité, de symboles forts et de solidarité.
Pourtant, les propos du président français sont discutables. S’il avait déclaré que certaines formes d’antisionisme se confondent avec des formes modernes d’antisémitisme, peut-être alors aurait-il eu raison. Depuis plusieurs années, on constate effectivement qu’une partie du discours antisioniste a été récupérée par un récit profondément antisémite. Il ne s’agit pas uniquement d’un discours idéologiquement structuré, mais également d’une représentation beaucoup plus diffuse qui, partant d’une vision caricaturale des rapports sociaux, mêle sentiment de dépossession économique et élan conspirationniste. Mais dire que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme », c’est assez court ; très court ; trop court. (Nous soulignons, nous français, nous sommes habitués à la légèreté du personnage et à la pauvreté de sa pensée, mais maintenant elle devient évidente pour les étrangers!)
Expropriation du langage
Historiquement, l’antisionisme consiste en l’opposition à la création d’un État juif en Palestine. Aujourd’hui, il s’agit d’une part de considérer que cet État a été fondé au détriment des Palestiniens, et, d’autre part, d’être opposé aux discriminations qu’il perpétue au nom de la préservation de son identité juive. La « destruction d’Israël » est dans les faits un non-débat que l’on agite pour ne pas aborder la question de sa politique coloniale.
La seule partie prenante qui a suffisamment de moyens politiques et militaires pour menacer l’existence d’Israël aujourd’hui, c’est Israël. Déjà à l’époque d’Oslo, d’aucuns disaient que la solution à deux États était peut-être la moins pire de toutes, mais la plus limitée dans le temps. Aujourd’hui, la multiplication des colonies en Cisjordanie et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale indivisible d’Israël visent à créer une réalité
de facto sur le terrain qui justifiera demain l’impossibilité de créer un État palestinien. En fait, c’est déjà le cas. Que restera-t-il alors? Si tout va bien, un État abritant des populations aux droits inégaux, donc très moyennement démocratique. Quant à l’égalité, elle signifierait le renoncement au caractère juif de l’État…
Mais, pour en revenir au sujet de départ – le vocabulaire –, une fois de plus, les mots de lutte des vaincus sont repris, déformés, falsifiés et revendus sans que leurs propriétaires originels ne soient sollicités.
Parfois, ce processus de réappropriation – ou plutôt d’expropriation du langage – défie d’ailleurs toute logique. Car franchement, quand un Français, quelle que soit son origine, lance à un autre Français qu’il suppose être juif : « Sale sioniste de merde, rentre chez toi à Tel-Aviv » (comme cela est récemment arrivé au philosophe Alain Finkielkraut), cela s’appelle de l’antisémitisme, pas de l’antisionisme. Quand, à une manifestation anti-mariage pour tous, certains croient bon de tonner à tue-tête : « Juifs, sionistes, hors de France ! », c’est plus qu’un oxymore, c’est un non-sens absolu. Ceux qui sont confrontés au sionisme dans sa version pratique et quotidienne, loin de l’Occident et de son lyrisme géopolitique, ne diraient jamais à un Français de confession juive « rentre chez toi à Tel-Aviv ».
Des salopards, il y en a toujours eu. Mais au moins associaient-ils l’ignominie à un minimum de cohérence politique. Pierre Drieu La Rochelle, écrivain collaborationniste français, écrit par exemple dans son journal de guerre (1939-1945) : « Je meurs antisémite (respectueux des juifs sionistes) » ou encore « J’aime les races d’ailleurs chez elles ; j’aurais aimé sincèrement les juifs chez eux. » Dans la même veine, on peut aussi citer des responsables du régime de Vichy, comme Vallat, ou Tixier-Vignancour, dont l’antisémitisme n’était pas incompatible avec leur soutien au sionisme.
Cela ne signifie évidemment pas que tous les sionistes sont antisémites. Juste que les mots ont un sens. Ainsi, quand certains associent « sionisme », « crise bancaire », « crise sociale », « crise morale », « Bruxelles » et « Macron », ils sont généralement antisémites. Pas antisionistes. Et certainement pas propalestiniens.
Bref, il est bien dommage que l’on ne s’en réfère jamais aux Palestiniens pour parler de la Palestine. Un jour, Mahmoud Darwish a dit qu’il se voyait comme un « poète troyen », soit « l’un de ceux à qui l’on a enlevé jusqu’au droit de transmettre leur propre défaite ». C’est précisément de cela qu’il s’agit : aujourd’hui, en France, des antisémites – comme l’essayiste Alain Soral – et des inconditionnels de la politique israélienne – comme l’ancien Premier ministre Manuel Valls par exemple (on peut allègrement changer de duo) – jouent à quatre mains l’histoire de la Palestine, sans qu’aucun Palestinien ne soit convié au concert.
Fardeau
Alors oui, c’est vrai, il y a des antisionistes qui sont obnubilés par Israël parce qu’ils vouent une haine viscérale aux juifs – avec ou sans État – qu’ils tiennent responsables de tous les maux du monde. Le confusionnisme politique dans lequel nous chavirons chaque jour un peu plus confirme cette tendance. C’est un fait.
Toutefois, cela rend-il le combat anticolonial des Palestiniens moins juste? Cela rend-il l’occupation plus légitime? Les démolitions de maisons ? Les évictions forcées ? Est-ce que cela doit nous empêcher d’aborder la question du droit au retour des réfugiés ? Est-ce que l’on doit taire ce qui se passe à Jérusalem-Est? Et à Gaza ?
Certains affirment qu’il faut distinguer entre différents types de sionisme. D’accord. Mais, en toute honnêteté, demander aux occupés de cerner toutes les nuances du sionisme ne rime à rien : sionisme de gauche, de droite, laïc ou religieux, ça change peut-être quelque chose pour les Israéliens selon leur milieu social et culturel ; mais pas grand-chose pour les Palestiniens.
Demander aux Palestiniens et à ceux qui les soutiennent de valider moralement le sionisme, c’est demander aux colonisés d’acquiescer sans broncher au discours du colonisateur et de s’effacer de leur plein gré de l’histoire. Et c’est aussi, il faut bien le dire, leur imposer le fardeau de l’histoire française, dans son versant antisémite et colonialiste. Faire payer aux vaincus de l’histoire en Palestine, l’histoire tortueuse de l’Europe. Dissoudre consciemment ou inconsciemment l’histoire française de la collaboration et de la colonisation avec ses ramifications dans un discours officiel qui externalise les sources du racisme et de l’antisémitisme. Par une pirouette rhétorique, renvoyer l’antisémitisme au rang de concept « oriental » qui n’a rien à voir avec « nous ». Voilà comment une part de la barbarie chez soi est projetée ailleurs.
Et en parallèle, ironiquement, on s’aligne sur une définition de l’antisionisme folklorique et tout à fait locale telle que théorisée par des Français fascistes ou fascisants qui ont investi leurs obsessions emplies de haine dans une cause dont ils ignorent presque tout. On préfère les croire eux plutôt que d’écouter les voix militantes, artistiques ou juste humaines de celles et ceux qui ont été confrontés à la violence du sionisme dans leur chair.
Soulayma Mardam-Bey est consultante auprès de diverses ONG de défense des droits humains.
Par charité chrétienne, que ceux qui le sont, veuillent bien traduire, expliquer à M. Bothorel député macronnien des Côtes d'Armor et à ses supplétifs le texte ci dessus.
Bon courage si, par hasard, vous réussissiez votre dieu, qui est celui des croyants juifs et musulmans... aura sans doute une attention particulière pour vous... NDLR