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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

Pour l'historien Stéphane Sirot, la stratégie du "pourrissement" d'Emmanuel Macron peut inciter les opposants à la réforme des retraites à basculer dans des actions dures.

 
AFP
Image d'illustration - Une pancarte représentant Emmanuel Macron en Louis XVI, lors de la manifestation du 5 décembre 2019 à Paris.

SOCIAL - Comment a-t-on pu en arriver là? Le conflit sur les retraites atteint ce jeudi 9 janvier, jour de mobilisation nationale, son 36e jour de grèves sans interruption depuis le 5 décembre. Un record jamais vu en France depuis 1968. Pour analyser les raisons de la colère et la stratégie d’Emmanuel Macron face à ce conflit inédit, Stéphane Sirot répond aux questions du HuffPost.

L’historien spécialiste des mouvements sociaux constate que depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, “l’ébullition sociale est permanente”. Il observe que le chef de l’État “laisse pourrir le mouvement comme ses prédécesseurs” et que cette stratégie comporte des risques de “radicalisation” du conflit, dans un contexte de “surchauffe” sociale. 

Le HuffPost: Comment Emmanuel Macron gère-t-il ce conflit ?

Stéphane Sirot: Emmanuel Macron a une gestion tout à fait à l’ancienne des conflits. Depuis une vingtaine d’années, les attitudes sont les mêmes de la part du pouvoir en place: le Président se met en retrait et laisse son gouvernement gérer le conflit qui consiste à attendre l’épuisement des mobilisations. Cette démarche de pourrissement laisse le mouvement perdurer en sachant très bien que les grévistes vont épuiser leurs ressources et qu’ils devront bien à un moment reprendre le travail, parce qu’il faut bien qu’ils mangent. 

Depuis le début du quinquennat, l'ébullition sociale est permanenteStéphane Sirot, historien des mouvements sociaux

Emmanuel Macron a-t-il une façon particulière d’affronter les mouvements sociaux par rapport à ses prédécesseurs?

Il s’inscrit dans les pas de François Fillon en 2003 et Nicolas Sarkozy en 2010 qui passent en force sur les retraites ou de François Hollande en 2016 qui passe en force avec la loi El Khomri. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, l’ébullition sociale est permanente. En dehors des périodes estivales, on observe une succession permanente de conflits qu’on pourrait faire débuter à 2016 avec la loi El Khomri. Automne 2017, Emmanuel Macron publie ses ordonnances pour réformer le Code du travail, il y a des manifestations, même si elles n’ont pas l’ampleur de celles d’aujourd’hui. Décembre 2017, le mouvement des gardiens de prison; jusqu’en juillet les Ehpad et les cheminots qui se battent pour leur statut et ensuite, en novembre 2018, le mouvement des gilets jaunes qui dure au moins jusqu’au printemps. Et depuis le 5 décembre, ce conflit sur les retraites.

Pensez-vous qu’Emmanuel Macron subit ce mouvement à cause de son manque d’expérience politique ou que c’est une stratégie assumée ?

Emmanuel Macron n’a gagné qu’une seule élection. Il n’est pas un élu traditionnel, ancré dans son territoire. C’est un expert, un homme de cabinet, entouré d’hommes et de femmes qui ont le même profil. Il est donc difficile de trouver un compromis, car, de par sa profession, il pense généralement que ses analyses sont les bonnes et qu’il n’y a pas d’autres solutions.

Plus profondément, il a une stratégie politique: le socle de son électorat aujourd’hui est surtout composé de celui de la droite et cette réforme des retraites y répond parfaitement. Un élément de son obstination vient de là. Il sait aussi que sa seule chance d’être réélu en 2022 est d’être face à l’extrême droite. Il lui faut un socle de 25%, c’est celui-là, majoritairement composé d’un électorat de droite, qu’il entretient.

Le message envoyé par le pouvoir est 'si vous n'usez pas de violence, vous n'aurez rien'Stéphane Sirot

Cette stratégie est-elle payante pour le pouvoir?

Oui, c’est payant si l’on considère que l’objectif est de passer à toux prix une réforme. Après, socialement et politiquement je ne suis pas sûr que ce soit payant. Car cette stratégie envoie un message assez dangereux de la part du pouvoir: le seul mouvement qui peut faire reculer un gouvernement, c’est celui qui emploie des pratiques transgressives, y compris la violence. C’est un message périlleux qui indique que si vous ne transgressez pas les lois, si vous n’usez pas de pratiques violentes, vous n’aurez rien, à part des ajustements marginaux. Dans la société de surchauffe dans laquelle nous sommes actuellement, c’est socialement et politiquement dangereux.

Cette stratégie du “pourrissement” peut-elle conduire à une forme de radicalisation des mouvements sociaux?

Bien sûr. Pour ceux qui vont perdre cinq semaines, peut-être plus, de salaire alors qu’ils ont mené une grève reconductible qui a paralysé une partie du pays, le résultat leur paraîtra modeste. Un certain nombre d’entre eux vont se souvenir qu’il y a tout juste un an, en bloquant des ronds-points et en cassant, en faisant vraiment peur au pouvoir, les gilets jaunes arrivaient à le faire vaciller.

Est-ce vraiment dans la culture syndicale de se radicaliser?

Ce n’est pas dans leur culture, mais le choix d’une pratique est indexé sur son efficacité. Si l’on juge plus efficace de s’organiser par soi-même et que ça s’avère efficace, ce sera fait. C’est ce qui arrive en 1936: on occupe des usines, c’est interdit, mais on sait que c’est un des éléments de la victoire. On s’empare de méthodes illégales, comme l’ont fait les gilets jaunes.

Les gilets jaunes étaient dans l’illégalité?

Bloquer un rond-point, organiser une manifestation sans la déclarer et je ne parle même pas des violences, c’est illégal. Le fait de ne pas avoir d’interlocuteur en face du gouvernement, c’est transgressif. La plupart des gilets jaunes, sans représentant, ne voulaient pas aller à Matignon, alors que les syndicats, y compris la CGT n’osent pas sécher une réunion de concertation! 

Les services publics subissent une injonction contradictoire: faites mieux avec moinsStéphane Sirot

 

Comment expliquez-vous cette colère qui s’exprime dans de nombreux secteurs de la société? 

On peut la mettre en relation avec l’accélération des réformes libérales voulues par le Président de la République qui produit des mouvements sociaux de plus en plus récurrents qui touchent quasiment toutes les professions. À commencer par le secteur public qui subit les injonctions contradictoires de l’ordre libéral: faites aussi bien, voire mieux avec moins. Cette injonction impossible à tenir est le moteur de tous les mouvements. Ces conflits qui semblent disparates ne produisent pas forcément une coagulation, mais ils montrent un mécontentement très profondément ancré, avec des causes communes.

Quelle issue arrivez-vous à percevoir à ce conflit sur les retraites ?

Il y a un jeu de rôle entre la CFDT et le gouvernement. Ce n’est pas un hasard si Laurent Berger évoque l’idée d’une conférence de financement le dimanche et que le lundi Édouard Philippe dit que c’est une bonne idée, la ficelle est épaisse. S’ils arrivent à trouver un point d’entente, il est possible que l’opinion publique bascule et n’apporte plus son soutien à la mobilisation. Dans ce cas, le pouvoir se sentirait d’autant plus légitime à laisser pourrir le conflit et le mouvement social risque de perdre son souffle et de s’éteindre. Mais la grève peut durer encore quelque temps, car quand on a perdu cinq semaines de salaire, on a du mal à reprendre le travail, il y a plus que de la déception. Ça ne s’arrêtera donc pas du jour au lendemain. 

 À voir également sur Le HuffPost: Grèves, manifs ou violences... Ce qui fait lâcher les gouvernements

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