Chine et coronavirus, effets économiques
Jean Claude Delaunay
https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/encore-une-fois-la-chine-par-jean-claude-delaunay/
Les effets collatéraux
Ces effets sont nombreux. Comment les classer pour en simplifier l’interprétation? Comme je n’ai pas cherché à faire un compte-rendu exhaustif de tous ces effets, je me suis dit que le plus simple était de choisir deux d’entre eux. Je vais donc dire quelques mots, ci-après de : 1) l’incidence du C19 sur l’économie chinoise; 2) de l’action internationale actuelle de la Chine à propos du C19.
’action internationale actuelle de la Chine à propos du C19.
Le premier point que je vais évoquer est de nature économique. Il est clair que l’épidémie du C19 aura des conséquences économiques importantes, en Chine et dans le monde. Je crois que nul n’en doute, et même Trump semble l’avoir compris.
Des chiffres circulent. Par exemple, l’effet SARS, en 2003, aurait été de 100 milliards de yuans en année pleine. L’effet C19, en 2020, serait 5 fois plus élevé : 500 milliards de yuans. D’autres estimations portent sur les taux de croissance. Caixin, par exemple, un centre d’information économique et financière plutôt respecté, estime que le taux de croissance du GDP chinois pourrait être de 5.7% au lieu de 6.0%. Il y aurait donc une réduction du taux de croissance annuel du PIB chinois de 0.3 point de pourcentage, correspondant à une perte de revenu due au C19 égale à 2500-3000 milliards de yuans, si l’on fait l’hypothèse que le taux de croissance hors C19 aurait été de 6% par rapport à 2019. Je ne vais pas reproduire ici toutes les estimations qui ont été faites. Comme on le voit, la perte est ici estimée à 500 milliards de yuans et là à 2800. L’une des difficultés de l’estimation est de savoir précisément quels secteurs ont été touchés, car certains ont tourné à plein régime, celui des matériels sanitaires et des masques, en particulier. Ensuite, comme l’économie chinoise est une économie encore largement industrielle, un retard de production se rattrape, ce qui n’est pas possible, ou l’est beaucoup moins, dans les économies dont les services font 80% de l’activité. Enfin, il y a l’inconnue du comportement des pays capitalistes.
Les analystes économiques et financiers sont anxieux car, en plus de l’effet réducteur de la croissance mondiale qui découlera automatiquement de la baisse du PIB chinois, une forte crise potentielle de suraccumulation durable du capital est en surplomb de toutes ces difficultés. L’économie mondiale était déjà en crise potentielle avant l’épidémie du C19. La neige s’était accumulée. Le risque d’avalanche est grand. Cela dit, comme l’indiquent les Ecritures, «On ne sait ni le jour ni l’heure». Et puis, comme je l’ai déjà évoqué, il y a des inconnues : Comment vont se comporter les classes dirigeantes nord-américaines?
Des projets chinois, on connaît quelques traits. On sait que la politique macro-économique à venir sera de nature bancaire et sans doute fiscale, et qu’elle va consister à aider en priorité les petites et moyennes entreprises. Ce sont souvent des entreprises de services, pour lesquelles par conséquent, la production perdue ne se rattrape quasiment jamais, à la différence des entreprises industrielles, mais qui, pourtant, fournissent la majorité de l’emploi, salarié et non-salarié.
Il n’y a pas que l’inconnue chinoise, et de loin. La Chine exhorte, par la voie de son président et de ses ministres, à la mise en œuvre d’une politique économique, commerciale et financière concertée au plan mondial. Mais que vont faire «les guerriers» des Etats-Unis? Comment les classes dirigeantes complètement pourries de ce pays pourri par l’idéologie impérialiste vont-elles se comporter? Quant aux classes dirigeantes non moins pourries de France, d’Allemagne ou d’autres pays d’Europe, vont-elles être contraintes d’agir dans l’intérêt des peuples ? Ce n’est pas sûr. La peur rassemble autour des «chefs» et «les chefs», ce sont les représentants et représentantes du Capital financier, pour reprendre le concept forgé par Hilferding et repris par Lénine.
Pour conclure ce premier point relatif à la production chinoise et à l’économie, je crois pouvoir dire :
1) Que l’attaque du C19 entraîne et va entraîner, à court terme, des pertes de revenu, supérieures à celles qu’avait causé l’épidémie du SARS, mais selon moi difficiles à chiffrer.
2) Que le gouvernement chinois n’a pas envisagé une seconde de faire quand même travailler la population. Il a choisi, pour mettre le plus rapidement possible un terme à l’épidémie, en Chine et dans le monde, l’arrêt quasiment complet de la production chinoise, sauf pour faire face à l’urgence médicale et sauf pour assurer les conditions de vie et de transport minimales des Chinois.
3) Que le gouvernement central et les gouvernements provinciaux seront mobilisés pour aider les petites et moyennes entreprises en difficulté. Ce sont les sources de l’emploi et des sources importantes de l’innovation. Elles seront sérieusement aidées.
4) Que le gouvernement de la Chine s’est engagé, quelle que soit l’ampleur de la contraction de l’économie mondiale à ne pas arrêter la chaîne industrielle. Cela veut dire, par exemple, que les personnes qui, en France, prennent chaque jour des petites pilules pour réduire leur hypertension artérielle, sont assurées qu’elles pourront continuer à le faire, bien que leur médicament soit aujourd’hui exclusivement produit en Chine
Le deuxième point que je crois nécessaire de souligner parmi les conséquences de la crise sanitaire actuelle est l’activité que, de manière visible mais aucunement ostentatoire, et pour contribuer à la surmonter. la Chine déploie aujourd’hui dans le monde. Alors que la grande Chine et le petit Cuba sont de tous les fronts pour aider les populations en difficulté, la puissante Amérique n’aide personne, étant d’ailleurs peu capable de s’aider elle-même. Les dirigeants de ce pays sont tout juste bons à interdire que les Iraniens disposent des médicaments dont ils ont un urgent besoin et à envoyer un croiseur naviguer près des côtes venezueliennes. Par contraste, le gouvernement socialiste de la Chine a, sans aucune hésitation, répondu à la demande pressante d’aide massive que lui ont adressé l’Italie, la Serbie, le Venezuela et le Pakistan. A ce jour, le gouvernement chinois, de manière plus légère et diversifiée, a apporté de l’aide à 80 pays. Les pays asiatiques qui le sollicitent sont, cela se comprend, parmi les premiers à être l’objet de son attention. Mais les pays capitalistes ne sont pas oubliés non plus car derrière le nom d’un pays, il y a la réalité d’un peuple. La France vient de recevoir une livraison de masques. Merci la Chine, pour le peuple français.
Cette politique internationale n’est pas une politique de circonstance. C’est une ligne stratégique de comportement, qui fut progressivement mise au point en Chine, mais dont l’actuelle équipe (Xi Jinping) a codifié le langage, les formes, et a commencé de mettre en oeuvre les illustrations pratiques.
En 2019, l’Institut de Recherche sur l’Histoire et la Littérature du Parti communiste, un institut organiquement lié au Parti communiste chinois, a publié la traduction française de 85 discours de Xi Jinping, l’actuel président de la Chine. Ces discours furent
prononcés entre 2014 et 2018 et ce livre a pour titre : Construisons une communauté de destin pour l’Humanité[1]. Il est la reprise du titre d’un discours qui fut prononcé en janvier 2017, devant l’Assemblée générale des Nations unies, à Genève. Il part du constat que le monde est aujourd’hui fini. Ce constat n’est pas nouveau et Paul Valery avait déjà, en 1931, dit quelques mots là-dessus. Mais ce qui est nouveau est qu’après l’épreuve de la deuxième guerre mondiale, après l’ expérience de la guerre froide, après les guerres destructrices, menées ici et là par les Etats-Unis et ses sinistres alliés, le développement dans le monde n’a guère avancé.
En 1815, lors de la tenue du Congrès de Vienne, ils étaient une poignée de souverains à régler les affaires du monde. Personne, ou presque, n’imaginait alors, parmi eux, que des peuples pussent exister au delà des frontières de l’Europe et de la naissante Amérique. Deux siècles plus tard, les Peuples du monde entier sont là. Ils frappent à la porte du Développement avec insistance. Ils veulent entrer. L’impérialisme mondial à direction nord-américaine à beau faire et beau dire, il n’y peut rien, il ne peut pas les en empêcher. L’ére du monde fini est vraiment commencée. Il existe maintenant des peuples, des grands et des petits comme par exemple la Chine et Cuba, pour tenir le drapeau de ces exigences nouvelles. Désormais les guerres n’auront que des perdants.
Autrefois, il n’y avait de vainqueur que s’il y avait un perdant. Faisons en sorte disent les Chinois, de modifier radicalement cette forme de la Contradiction. Faisons en sorte, disent-ils, que les solutions de type «gagnant-perdant» soient définitivement remplacées par des solutions de type «gagnant-gagnant». C’est dans cet esprit que la Chine a proposé la construction de nouvelles routes de la soie, terrestre et maritime, et qu’elle s’adresse de manière pratique aux peuples du monde, grands ou petits, pour coopérer avec elle. C’est dans cet esprit qu’elle s’est lancée dans la lutte contre le C19 et qu’elle continue d’y participer.
Cet épisode n’était pas prévu au programme. Mais puisque la situation est là, il faut y faire face. Aujourd’hui, pour lutter contre la maladie, et demain, pour reconstruire l’économie mondiale affectée par cette épreuve, il faut, il faudra, disent-ils avec raison, coopérer et non se battre comme des chiens enragés.
Conclusion
Pour conclure ce texte, je vais avancer deux idées.
La première prend appui sur le livre de Kyle Harper[2]. Je recommande celles et ceux qui ne connaîtraient pas ce livre de consulter au moins la présentation qui en est faite sur le site de Danièle Bleitrach, Histoire et Société (rubrique des Textes fondamentaux). Ce livre est une interrogation sur le poids des phénomènes naturels dans le développement des sociétés. Il montre comment la mondialisation romaine de l’époque de l’Empire a permis le développement du commerce, le doux commerce comme ne le disait pas Montesquieu, mais a également favorisé la circulation des vecteurs de maladies. Nous sommes, toutes proportions gardées, dans une époque comparable. Mais alors que les pestes ont périodiquement ravagé la population de cet Empire (peste de Mars Aurèle (160), peste de Cyprien (250), peste de Justinien (années 540)), l’Humanité est en mesure aujourd’hui de faire face à de tels phénomènes. Elle en possède les moyens humains, techniques et scientifiques. Ce qui lui manque le plus, ce sont «les moyens sociaux».
La deuxième idée est que le plus important de ces moyens sociaux est le socialisme. Le capitalisme industriel a fini sa course. Il a produit tout ce qu’il pouvait produire. Mais ses bénéficiaires ne veulent pas quitter la place. C’est pourquoi notre époque est une époque de grandes luttes.
Après avoir enfin réussi à liquider le système soviétique en 1991, le Capital financier et ses représentants politiques, ont cru avoir trouvé la solution finale. Ils ont cru que la mondialisation, placée sous leur contrôle et la supervision nord-américaine, résoudrait tous leurs problèmes. Pas de chance! Ce système est incapable de faire face aux immenses contradictions économiques et politiques qu’il a lui-même engendrées. Et voilà qu’à toutes ces contradictions s’ajoute aujourd’hui une contradiction sanitaire révélatrice de ses limites absolues.
Nous devons être convaincus, nous, communistes, que le plus dangereux des virus existant aujourd’hui, c’est l’impérialisme sous domination américaine. Il faut lui écraser la tête, le vaporiser de substances pour lui mortelles, et, en premier lieu l’arroser de cette terrible substance que sont pour lui les exigences des peuples.
Cela dit, simultanément, nous devons, me semble-t-il, comprendre que le capitalisme a fait son temps. Le socialisme doit prendre la relève. Il nous revient, à nous, communistes français, de tracer et d’éclairer, pour la France cette voie nouvelle. La lutte contre l’impérialisme est certainement, au plan mondial, la plus urgente. Mais la lutte pour le socialisme est également nécessaire. Pourquoi, si nous voulons contribuer au succès de toutes ces luttes, nous priver de l’allié chinois? Quelles leçons et quelles actions pouvons nous déduire, pour notre propre compte, de son expérience et de ses propositions?
[1] Xi Jinping, 2019, Construisons une Communanuté de Destin pour l’Humanité, Central Compilation and Translation Press, Beijing.
[2] Kyle Harper, 2019, Comment l’Empire Romain s’est effondré. Le climat, les maladies et chute de Rome, Editions La Découverte, traduction française de Philippe Pignarre, première édition anglaise, 2017.