La Chine face au coronavirus1
Jean-Claude Delaunay, économiste marxiste, vit en Chine depuis de nombreuses années. Témoin privilégié de la façon dont évolue et se construit la Chine Populaire dans ces dernières années, il a publié l’année en 2018 “Les trajectoires chinoises de modernisation et de développement. De l’Empire agro-militaire à l’État-nation et au socialisme” aux éditions Delga. Jean-Claude Delaunay qui nous avait fait l’amitié et l’honneur de présenter son ouvrage sur le stand du PRCF à la fête de l’Humanité 2018, a accepté de donner son point de vu, depuis la Chine, des leçons que nous apprend la pandémie de coronavirus et la nouvelle violente poussée de crise du Capitalisme.(PRCF)
Jean Claude Delaunay né en 1938, professeur honoraire des Universités en Economie. Il vit depuis plusieurs années en Chine à Nanning. Il a depuis logntemps une attitude très critique vis à vis des directions du PCF. (Huma Lannion)
exemple:
http://www.reveilcommuniste.fr/article-jean-claude-delaunay-contre-la-participation-du-pcf-au-gouvernement-pour-un-parti-marxisteelaunay-105791152.html
Encore une fois la Chine
Pékin – 7 avril 2020 – par Jean-Claude Delaunay
Bonjour mes amis, mes camarades de France. Inutile de mettre vos masques pour lire ce papier. D’abord vous n’en avez pas, si j’en crois une récente enquête de Médiapart (02/04/20). Ensuite, il n’est pas question de développer ici un point de vue médical ou documentaire sur ce virus qui a envahi le monde, sur cette étrange petite boule couverte de pustules et de piquants qui, lorsqu’elle nous pénètre, nous crée de grands soucis.
Je vais vous dire quelques mots d’un autre virus, qui, lui, nous a entièrement pénétrè et qui nous fait le plus grand tort, le capitalisme monopoliste financier, qui nous ronge le sang et dont nous ne savons pas comment nous dépêtrer, parce que nous avons peur de prendre le seul médicament qui vaille en la matière, le socialisme.
Bien sûr, en Chine, où je vis depuis quelques années, je ne subis pas au jour le jour les conséquences du capitalisme. Et puis je suis retraité, je suis même un vieux retraité. Mais justement, sans prétendre du tout être l’incarnation de la sagesse, dans la mesure où, dans la rue, je marche encore droit, je vais vous dire en toute lucidité quelques mots du socialisme chinois. Et croyez-moi, cela est très lié au virus qui nous préoccupe aujourd’hui.
Ce que, au début, on a appelé le coronavirus, puis le nouveau coronavirus, et que l’on appelle maintenant le Covid 19 (je dirai désormais le C19 pour faire court), est apparu en Chine à la mi-décembre 2018, dans la ville de Wuhan, une ancienne ville chinoise, située sur les bords du Yang Tse, dotée d’une université séculaire, une zone aujourd’hui très industrielle, de 11 millions d’habitants. Cela dit, ce virus n’a pas été immédiatement identifié comme un générateur de pneumonies ainsi que d’autres attaques graves des reins et du cœur. Mais les cas se sont multipliés. Et en janvier 2020, les autorités de santé de la province du Hubei, ainsi que du gouvernement central, ont compris qu’il s’agissait de quelque chose qui n’était pas le SARS (Severe acute respiratory syndrom), lequel affecta la Chine en 2002-2003, mais qui présentait néanmoins de grands dangers. De plus, c’était une épidémie dont la particularité était de se diffuser très rapidement.
Les autorités de ce pays ont immédiatement réagi, contrairement à celles des pays occidentaux, et elles ont alerté le monde entier. Très vite, décision fut prise de clore Wuhan, à partir du 23 janvier, 1 jour avant le début de l’année lunaire. Dans leur masse, les Chinois ont alors commencé à se rendre compte que les choses étaient graves. La Chine est un immense pays, dont la superficie est aussi grande que celle des Etats-Unis. Il faut à peu près 5 heures d’avion pour aller de New-York à San Francisco (Est-Ouest) et 3 heures d’avion pour aller de Nanning à Beijing (Sud-Nord). Et Beijing est encore loin de la frontière Nord la plus éloignée. Bref, il a fallu un certain temps pour qu’il devienne clair, au sein de la population, que l’épidémie ne serait pas cantonnée à la province du Hubei mais qu’elle allait gagner toute la Chine, qu’elle allait se répandre comme un liquide que l’on a renversé sur la nappe, et que chacun serait concerné directement. C’est le mérite de dirigeants responsables que d’être un peu en avance sur la population dont ils assument le gouvernement. Je vais rendre compte, sans faire un travail de recherche approfondi, des décisions qui furent alors prises. Je vais les classer sous trois rubriques, qui formeront les parties de ce texte :
- Les décisions d’ordre général relatives au virus. Elles sont comme les infrastructures de toutes les autres décisions ;
- Les décisions et actions relatives aux malades ;
- Les décisions et actions collatérales, les conséquences.
Elles ont concerné tout d’abord la mobilisation intense de certains secteurs de la
société pour lutter contre l’épidémie. Il s’est agi du gouvernement central ainsi que des gouvernements provinciaux. Je pense qu’au cours des trois derniers mois, ces personnes ont eu des nuits très courtes et des journées très longues.
Dans un cas semblable, deux autres secteurs sont immédiatement mobilisés : l’armée et la police. A cela s’est ajoutée la mobilisation complète des médecins et des infirmières, ainsi que du personnel complémentaire. Enfin, on ne doit pas oublier le Parti communiste chinois (PCC). Je ne vais pas dire que les 79 millions de membres se sont immédiatement présentés au siège de leur organisation pour se porter volontaires. Mais parmi ses membres, il y a des gens qui y croient, que voulez-vous !
Je tendrais même à penser que le nombre des communistes chinois qui se sont portés volontaires pour les tâches induites par la lutte contre le C19, a été plus grand que celui des membres de «En marche» pour des tâches semblables.
Ces décisions générales ont ensuite concerné la télévision. Ce grand moyen d’information a contribué à la diffusion rapide et à l’explication des consignes de sécurité personnelle : port obligatoire et nécessaire d’un masque en dehors de chez soi, règles d’hygiène indispensables, diverses recommandations. Dans la rue, ici, en Chine, nous portons tous des masques. Parfois je me dis en moi-même que si je n’avais pas de masque, je passerais pour un terroriste. Bon, c’est une plaisanterie, vous l’avez noté.
Je mentionne au passage que les chaînes de télévision payantes (films, en particulier) qui d’ordinaire offrent gratuitement l’accès à leur programme pendant les fêtes du printemps (début de l’année lunaire) ont étendu cette disposition à toute la période pendant laquelle le C19 sévirait. Je crois qu’en France, Canal + avait commencé d’agir ainsi mais qu’il a dû arrêter de le faire car cela créait, ont dit les juges, une sorte d’horrible distorsion de la concurrence. Il est vrai que la Chine est «une économie de marché socialiste», et que, dans une telle économie, on s’intéresse au peuple. Dans une économie de marché capitaliste, on n’est pas aussi vulgaire.
Ces décisions générales ont concerné enfin l’organisation de la sécurité et du dépistage de l’épidémie. Aujourd’hui, par exemple, toute personne venant d’un pays étranger à risque est automatiquement mise en quarantaine. En effet, les autorités chinoises observent un léger rebond de l’épidémie et ce rebond a l’extérieur pour origine.
Mais la sécurité a pris d’autres formes. En Chine, tout le monde a un téléphone portable, sauf les chats et les chiens. Il suffit, par conséquent, d’enregistrer sur son téléphone ses coordonnées personnelles, adresse, etc. Puis chaque fois que l’on entre dans un lieu où il y a du monde, au supermarché, dans le métro, dans un bus, à KFC ou à Burger King, on s’enregistre de manière simple, grâce au téléphone, en prenant une sorte de photo. De même, quand on sort de l’endroit, on enregistre sa sortie à l’aide du téléphone portable. Si l’on s’est trouvé en contact avec « un virussé », voire avec « une virussée », ou s’il s’avère que l’on était soi-même virussé sans le savoir, on peut être retrouvé sans trop de peine et mis en observation.
Evidemment, en France, certains vont trouver que cette pratique est une atteinte aux libertés. Oui, c’est vrai, c’est une atteinte à la liberté de crever de cette épidémie, voire même de faire crever d’autres personnes.
Je dois ajouter, horribile dictu, que dans chaque lieu public où l’on pénètre, dans chaque ensemble d’habitation, on nous prend la température. Les autorités ont diffusé une énorme quantité de thermomètres à la fois sophistiqués de conception et simples de manipulation. Le contrôle de la diffusion du virus a été ainsi très décentralisé. Au début de l’épidémie, les policiers faisaient ce travail. Ils arrêtaient les voitures, les cars et prenaient la température des passagers. C’était un travail gigantesque et incomplet. En diffusant massivement du matériel et en impliquant toutes les personnes susceptibles de relever les températures, les autorités centrales ont considérablement accru l’efficacité globale du contrôle. Je crois que l’amélioration des techniques chinoises d’intervention au cours de ces derniers mois par rapport à 2003 (SARS), notamment dans le domaine sécuritaire, fut la combinaison intelligente de décisions centralisées et d’une application décentralisée de ces décisions, combinaison prenant appui sur l’accord profond de la population.
Pour clore cette partie, je mentionne quelques aspects de l’organisation de la vie quotidienne par les gouvernements respectifs. Les transports urbains ou interurbains ont été ralentis mais n’ont pas été arrêtés. Les lieux de détente tels que les cinémas ont été fermés. Les supermarchés ont continué de fonctionner selon des règles strictes mais nullement gênantes. Il faut dire qu’en France, par exemple, c’est l’absence du masque qui a créé la gêne et l’obligation (peu efficace d’ailleurs) de se tenir à distance les uns des autres. Mais en Chine, où tout le monde porte un masque, et où la population a immédiatement intériorisé les règles de sécurité, cette gêne n’avait pas lieu d’être.
Autre aspect des décisions générales, que je mentionne ici pour ne pas les oublier. 1) Les gouvernements respectifs ont assuré l’approvisionnement, notamment en riz et en viandes, lorsqu’apparaissaient des tensions sur les marchés. 2) Un certain nombre de petits malins qui espéraient utiliser la situation, par exemple pour vendre des masques à des prix prohibitifs, ou pour vendre de la poudre de perlinpimpin à titre de prévention contre virus, etc. ont été pincés et jugés. Moi, je trouve ça très bien. L’économie de marché socialiste, ce n’est pas le pouvoir d’abuser de personnes psychologiquement faibles et vulnérables, ou de spéculer sur d’éventuelles craintes et paniques concernant les approvisionnements.
C’est bien de prévenir, mais il faut aussi guérir. Je vais commencer cette partie par un tableau reprenant, en ce début d’avril 2020, pour plusieurs pays, le nombre de personnes affectées par le C19 et celui des personnes décédées des suites de cette infection.
Mes sources concernant les cas de C19 et ses effets mortels sont le China Daily, qui publie chaque jour les funèbres statistiques, elles-mêmes issues de l’Organisation mondiale de la santé. Les statistiques de population totale sont les estimations basées sur les données de l’ONU pour 2020, et diffusées sur internet. Je n’ai pas reporté sur ce tableau les totaux mondiaux de cas déclarés et de décès, qui me paraissent peu fiables. J’indique simplement que le total mondial des cas déclarés cumulés serait, au 5 avril, de 1,2 million et que tous les pays sont touchés. Le Vatican lui-même n’a pas été épargné par la colère de Dieu puisque, à ce jour, il compte 7 virussés. Les bénitiers de l’endroit seraient régulièrement désinfectés et passés au micro-onde. Sur conseil des Chinois, paraît-il, l’eau bénite aurait été remplacée par de l’eau de javel, qui, comme chacun le sait, lutte efficacement contre la noirceur et le diable.
Cas déclarés de C19 et décès cumulés, au 5 avril 2020, en Chine et dans quelques pays capitalistes développés | |||||
Pays | Cas déclarés | Décès | Population | % | |
Chine | 81669 | 3329 | 1.439.323.776 | 0.0567 | 4.1 |
Etats-Unis | 311301 | 8476 | 331.002.651 | 0.9404 | 2.7 |
Italie | 124682 | 15362 | 60.460.000 | 0.2062 | 12.3 |
France | 90848 | 7574 | 67.873.000 | 0.1340 | 8.3 |
Allemagne | 96092 | 1444 | 83.660.867 | 0.1486 | 1.5 |
Ce tableau est certainement insuffisant pour analyser la situation pays par pays. Il permet cependant de faire certains constats.
Dans la dernière colonne (%), la partie gauche est celle du pourcentage des cas déclarés par rapport à la population totale. Ils sont tous inférieurs à 0,1%. Cette sous-colonne serait plutôt indicative, à mon avis, de la capacité du pays considéré à prévenir l’attaque du virus. De ce point de vue, la Chine serait incontestablement le pays le plus efficace.
L’autre sous-colonne est celle du % des décès par rapport au nombre de cas déclarés. Ce ratio serait plutôt indicatif, me semble-t-il, de la qualité et de l’efficacité des soins apportés, en raison de tout un ensemble de facteurs : médicaments, infrastructures hospitalières, appareils de soins, nombre de médecins et d’infirmiers, etc. Cette interprétation est, évidemment, discutable. Mais je n’ai pas d’autres données. J’en déduis qu’en Chine, où le processus de contamination et de décès est stabilisé et sur sa fin, le rapport décès/contaminés a un sens et montrerait que sur 100 personnes contaminées, 96 auraient été guéries. Dans les autres pays, le processus de diffusion du C19 est en cours. Aux Etats-Unis notamment, le nombre de décès va augmenter, à population contaminée constante, et le nombre des personnes contaminées va lui-même augmenter.
Cela étant dit, entre les pays capitalistes, qui furent percutés par le virus, avec un décalage par rapport à la Chine d’environ 1 mois, et dont on peut supposer que la vitesse de contamination fut, entre eux, à peu près identique, des différences apparaissent. Par la proportion des décès, l’Italie serait la plus affectée des 4 pays considérés, et l’Allemagne serait la moins touchée. Il faudrait vérifier de près la qualité de l’enregistrement allemand des décès, en particulier l’enregistrement du décès des personnes âgées. En revanche, le score des Etats-Unis est pour l’instant inférieur à celui de la Chine (- 1.4 point de %). Mais le nombre de décès dû au C19 dans ce pays va certainement augmenter, en sorte que le pourcentage de cette sous-colonne, pour les Etats-Unis, va vraisemblablement se rapprocher de celui de la Chine. Ce qui ne me réjouit absolument pas.
Ce qui me paraît inquiétant, en revanche, est le résultat calculé pour la France. Il montrerait, toutes choses égales par ailleurs, que le système français de soins est en débandade. Un médecin français, de haute qualification, en charge d’un hôpital, je vais taire son nom, me faisant part de ce que les patients avaient des masques mais pas les médecins, m’a notamment appris que : «…les réanimateurs vont bien, mais ce sont tous les cardiologues qui ont été infectés, plutôt durement pour deux d’entre eux…» (21/03/2020). Merci pour eux, Monsieur Macron. Merci, Madame Buzyn. Merci aussi, Madame Touraine. Merci, bande de salopards.
Wuhan et le Hubei furent vraiment le centre de cette épidémie. C’est là que la Chine compte le plus grand nombre de décès : 93.5% du total des décès. La décision de clore la zone, d’en isoler la population du reste de la population chinoise, aussi douloureuse fût-elle surtout en ce début d’année lunaire, où des gens s’étaient déplacés pour visiter la famille, était la seule valable. Elle fut accompagnée d’une aide proportionnée. Aussitôt prise la décision de mettre cette ville en quarantaine, 40.000 docteurs et le matériel nécessaire furent dépêchés sur l’endroit. Deux immenses hôpitaux y furent érigés en un temps record. J’ai repris ci-dessous la photographie de la construction du premier des deux. Elle fut récemment diffusée par le site « ça n’empêche pas Nicolas».
La Chine est un pays socialiste. C’est un pays à économie de marché socialiste. Cela veut dire que le marché qui y fonctionne n’est pas un marché capitaliste. J’ai dit cela dans mon livre sur Les Trajectoires Chinoises. Je le répète ici pour essayer de me faire entendre des personnes qui ne savent pas faire la différence entre un marché capitaliste, orienté par le taux de profit maximum des agents privés, et un marché socialiste, orienté par le profit maximum de la collectivité sous contrainte de satisfaction des besoins élémentaires de ses membres.
Les personnes qui furent soignées dans les hôpitaux chinois y furent soignées gratuitement. Pour donner une idée du coût d’hospitalisation supporté par le budget chinois, je dirai que les statistiques hospitalières indiquent que chaque personne virussée y est restée entre 8 jours et 27 jours. Demandez les coûts journaliers d’hospitalisation à la Sécu et faites le calcul pour voir ce que cela donnerait en France. Il faut ajouter aux frais d’hospitalisation proprement dits les frais de personnels et de matériels, de médicaments, les appareils respiratoires, sophistiqués. Je n’ai aucun moyen de faire cette évaluation.
Un détail : les vieux Chinois ont été soignés comme les autres. A leur sortie, tous les patients ont eu droit à une photographie avec le personnel et à un petit cadeau. C’est comme ça en Chine. Comme le disait Bourdieu, la pratique photographique est une pratique d’intégration et les Chinois adorent l’intégration sociale. Ils ont le sens du groupe, le sens de la famille, le sens du village natal, le sens de la nation, le sens de la solidarité nationale et internationale. Ils sont bienveillants à l’égard des étrangers, dont les gouvernements leur ont pourtant fait bien des misères. Ce sont des gens bien, les Chinois. J’ai vu à la TV un vieux monsieur de 93 ans sortir de l’hôpital de Wuhan, un peu édenté, mais joyeux quand même.
Aujourd’hui, où un certain nombre de Chinois, ayant ou non acquis une nationalité étrangère, mais revenant dare-dare au pays natal parce qu’ils (ou elles) savent qu’ils y seront soignés correctement, ont à payer, pendant leur quarantaine (c’est une décision récente), une pension quotidienne hospitalière de 300 yuans/jour (soit environ 43 euros), soins et nourriture compris. Voilà ce que j’avais à dire sur cette deuxième partie.