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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

Que le Monde Diplomatique et Serge Halimi veuillent bien excuser cet emprunt mais la conclusion encore plus que  le reste du papier était si tentante!

L'huma lannionnaise

https://www.monde-diplomatique.fr/2020/12/HALIMI/62593

Il y a cent ans naissait un parti authentiquement populaire

Thorez jour après jour

C’est le dirigeant communiste qui a le plus marqué l’histoire de son parti. Les carnets de Maurice Thorez dévoilent sa vie quotidienne, ses rencontres, ses lectures.

 

Quelques jours avant sa mort, en juillet 1964, sur un bateau qui l’emmène passer une nouvelle fois ses vacances en Crimée, Maurice Thorez se remémore sa jeunesse de mineur : « J’ai commencé au triage de la fosse 4, à 12 ans, le 17 juillet 1912. » Ce sera l’une des dernières pages de son journal. Ce journal, Thorez s’astreint à le tenir à partir du 25 novembre 1952, comme un exercice de rééducation après une attaque d’hémiplégie qu’il va soigner pendant deux ans et demi en Union soviétique (1). Au début, l’effort lui coûte ; l’écriture est tremblante. Cinq mots le premier jour, une ligne les premiers mois. Peu à peu, l’écriture s’affermit et les paragraphes s’enchaînent, mais sans dépasser deux ou trois par jour. Thorez y consigne aussi les progrès de sa santé : en septembre 1957, par exemple, il « boutonne et déboutonne [son] gilet ».

 

À une période où les dirigeants communistes français sont fréquemment pourchassés par la police, parfois incarcérés, le secrétaire général du Parti communiste français (PCF) veille à ne rien inscrire de trop sensible dans les cahiers qu’il emplit. Résultat, le lecteur passera sans doute distraitement toutes ces pages qui évoquent des anniversaires, des fêtes de famille, des promenades, des voyages, des proches qu’on va chercher à la gare, sans rien cacher, bien entendu, des gelées de framboises et des cerises à l’eau-de-vie préparées par « Jeannette ».

Car le couple que Jeannette Thorez-Vermeersch forme avec « Maurice » est fusionnel. Familial, mais aussi militant : elle siège au Bureau politique (BP) et enchaîne les réunions publiques. Ses articles, tour à tour qualifiés par son mari aimant de « très bon », « vivant » ou « remarquable », traitent parfois des femmes, ouvrières, « mères » et « ménagères ». Le couple leur déconseille le contrôle des naissances. Le 5 avril 1956, Thorez pourfend ainsi « l’agitation de quelques médecins communistes qui versent dans le néomalthusianisme ». Un mois plus tard, il proclame : « Le chemin de la libération de la femme passe par les réformes sociales, par la révolution sociale, et non par les cliniques d’avortement. » Mais ce « chemin » passe aussi par l’Assemblée nationale : le dirigeant communiste se réjouit que quinze des dix-neuf députées élues cette même année soient des militantes de son parti. Ce qui, au passage, souligne l’état d’arriération des autres formations politiques à la même époque.

 

Souvent, le lecteur reste sur sa faim : Thorez, qui signale ses nombreuses rencontres, n’en dévoile presque jamais rien. Le 24 juin 1960, par exemple, on lit : « Longue discussion avec Casa qui déjeune à la maison ; il m’expose son point de vue sur les différentes questions et formule des observations, que je réfute, sur des membres du BP. Je le mets en garde contre une certaine attitude de lui et de Servin, sur laquelle spéculent les opportunistes et les ennemis. » À une époque où l’appréciation, caricaturalement sévère, du PCF sur le régime du général de Gaulle — une « dictature personnelle » qui « ouvre la voie au fascisme » — constitue l’un des principaux sujets de divergence entre Laurent Casanova, Maurice Servin et les autres dirigeants communistes, on aurait aimé apprendre quelque chose de cette « longue discussion ». En août de la même année, Thorez rencontre le dirigeant albanais Enver Hodja et, dix jours plus tard, Nikita Khrouchtchev. Là encore, nous ne saurons rien de ces entretiens à un moment où, pourtant, les Albanais et les Soviétiques sont les protagonistes les plus en pointe du schisme qui déchire le mouvement communiste international.

L’attachement de Thorez à Moscou ne se démentira pas. Il n’apprécie pas que Khrouchtchev pourfende son prédécesseur, en février 1956, lors du XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique. Mais, dans son journal, il restera muet aussi sur ce point. Il citait régulièrement Joseph Staline avant cette date. Il persistera après, mais moins souvent. En janvier 1956, Thorez rappelle, en russe, une phrase de Staline en 1928. Elle aura résumé sa vie et sa conduite : « Est internationaliste celui qui, sans réserve, sans hésitation, sans condition est prêt à défendre l’URSS parce que l’URSS est la base du mouvement révolutionnaire mondial. » Qu’on ne compte donc pas sur lui pour emboîter le pas aux « thèses opportunistes et surtout révisionnistes » des communistes italiens, ou à la « ligne aventuriste et semi-trotskiste des dirigeants chinois » quand, pour des raisons inverses, les uns comme les autres se dressent contre Moscou.

En dehors du retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, un événement, qui y est d’ailleurs lié, marque la période que couvre ce journal : la guerre d’Algérie. Dès le 14 juillet 1953, Thorez fustige une « provocation sanglante de la police à la Nation » lorsque sept Algériens sont tués en marge de la célébration de la fête nationale à Paris. Le PCF ne sera pas en pointe lors de ce conflit, préférant réclamer la « paix en Algérie » plutôt que d’appuyer le combat des militants indépendantistes. Néanmoins, le journal de Thorez relève la fréquence des saisies de L’Humanité — vingt-sept — pendant cette guerre coloniale et dénonce le « système arbitraire, de torture et de massacre » mis en place par tous les gouvernements qui se succèdent, socialistes compris. Par ailleurs, des militants communistes succomberont eux aussi aux attentats meurtriers de l’Organisation armée secrète (OAS). Un sujet sur lequel Thorez peut afficher la plus parfaite mauvaise foi, puisqu’il dénonce la « collusion ouverte entre le pouvoir gaulliste et l’OAS » le lendemain du jour où le domicile d’André Malraux, ministre des affaires culturelles et pilier du régime, a été plastiqué…

En 1962, Thorez signale le « cinquantième anniversaire de [son] certificat d’études primaires ». Ses Mémoires ont aussi pour intérêt de documenter le chemin que ce « fils du peuple » a parcouru depuis. En dépit de toutes ses activités militantes, il lit plus de vingt livres en 1958, trente-huit en 1963. Et pas des plus faciles : Héraclite en russe, César en latin, Spinoza, Montaigne, Diderot, la correspondance de Descartes… Ce genre de curiosité intellectuelle est-il encore si courant chez nos dirigeants ?

Serge Halimi

(1Maurice Thorez, Journal, 1952-1964, édition établie par Jean-Numa Ducange et Jean Vigreux (dont il faut saluer le travail, l’apport des notes en particulier), Fayard, Paris, 2020.

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