La Coop des Masques ne devait pas disparaître par Christophe Winkler
Le 16 octobre 2022
Cher(es) sociétaires,
Vous avez, pour la plupart d’entre vous sans doute, appris par la presse que la Coop des Masques avait fait l’objet d’une décision de liquidation judiciaire le 12 octobre dernier. C’est donc la fin d’une aventure humaine et solidaire hors du commun.
Nous redoutions cette décision, mais elle n’a surpris ni les salariés, ni les membres du conseil d’administration tant nous souffrions d’un manque de commandes. Souvenons-nous que lors de notre assemblée générale de début juillet, nous avions collectivement décidé de renforcer les actions de commercialisation et de communication. Nous l’avons fait tous azimuts en rencontrant à chaque fois le même message « nous avons des stocks jusqu’à l’hiver ». De son côté la Région Bretagne avait accepté notre proposition d’organiser une table ronde pour réunir les différentes parties prenantes dans le but de remobiliser les professionnels et tenter de relancer une dynamique. Malheureusement ce fût une promesse sans suite.
Après la liquidation judiciaire, nous avons immédiatement pensé à la situation des 13 salariés qui se retrouvent au chômage. Ceci est d’autant plus désolant, que nous avions recruté en CDI, bon nombre de travailleurs qui avaient besoin de se réinsérer dans le milieu du travail. Il convient de souligné qu’ils ont joué un rôle majeur tout au long de leur parcours à la Coop des Masques.
Cette décision vous touche directement car les sommes que vous avez investies dans la Coop des Masques sont définitivement perdues. Parmi nos 2067 sociétaires, 2000 sont de simples citoyennes et citoyens qui croyaient à ce projet solidaire. Ils ont investi chacun des sommes comprises en général entre 50 et 200 euros mais beaucoup ont mis plus de 1000 euros jusqu’à 10 000 euros. Nous imaginons que votre déception doit être immense.
Avant même de tenter de comprendre les raisons de la faillite, remémorons-nous les grandes étapes. L’aventure a démarré en mars 2020 au début de la pandémie de covid 19 à un moment où, faute d’avoir fermé la plupart des usines française (exemple Honeywell à Plaintel), la population ne pouvait pas se protéger avec des masques. Au bout de 4 mois d’un travail acharné, les fondateurs de la Coop des Masques ont réussi à jeter les bases d’un outil industriel coopératif dont le but était de retrouver la souveraineté de production d’équipements sanitaires. Il a fallu ensuite attendre la réception des machines que nous avions achetées dans la région de Saint-Etienne, pour qu’en mars 2021, la Coop produise ses premiers masques.
Si les tous premiers mois d’exploitation ont été satisfaisants, nous avons dû faire face à une chute brutale des ventes et l’assèchement de la trésorerie, entrainant la procédure judiciaire dès novembre 2021. C’est à ce moment qu’une réaction rapide a permis des ajustements pour corriger le cap en réduisant le personnel et en développant une stratégie commerciale. L’ensemble des salariés s’est mis à faire des ventes, du phoning etc… Le résultat fût sans pareil, puisqu’ils avaient sauvé la structure et reconstitué sa trésorerie.
Cependant, du fait d’engagements démesurés et sans doute hasardeux, pour notre jeune société (atelier Meltblown) nous n’avions aucune visibilité pour honorer notre passif de 3,3 millions d’euros. C’est pourquoi, un an après son démarrage opérationnel, en avril 2022, le Tribunal a décidé de mettre la Coop des Masque en observation et de geler ses dettes. Par la suite, le redressement attendu n’a pas eu lieu car les ventes ont chuté à partir du mois de mars sans jamais repartir malgré nos efforts (20/50 000 euros/mois).
Cette situation d’atonie des ventes interpelle au moment où la 8ième vague de COVID se développe.
Il y a d’abord des raisons internes. La raison principale est que certains grands sociétaires de la Coop des Masques n’ont pas joué le jeu. Cela avait été signalé et développé lors de notre assemblée générale de juillet dernier. Certes, l’industrie agroalimentaire a snobé la Coop dès le début, mais ce qui est grave c’est le groupe mutualiste VYV (Harmonie mutuelle, MGEN, Arcade, mmg ….) qui était de loin notre premier investisseur (300 000 euros). Ce groupe qui dispose d’un potentiel d’achats de masques considérable, n’a acheté que pour 20 000 euros à la Coop. Il porte donc une grande responsabilité dans la faillite. Il semblerait que la décision émane de la présidence du groupe. A la demande de l’AG nous avons tenté de la contacter. A chaque fois nous avons trouvé une porte close.
Mais il y a aussi des raisons externes qu’il ne faut pas négliger. Par exemple nous avons été en échec sur plusieurs appels d’offres d’hôpitaux qui pourtant font partie de nos sociétaires. Nous étions souvent bien placés, voire les meilleurs pour les FFP2, or nous n’avons pas pu avoir accès à ces lots pour des raisons de «confiance» liées à la procédure judiciaire. Il s’agissait donc d’une double peine qui nous handicapait auprès du milieu hospitalier.
Parmi les raisons externes c’est l’Etat qui porte une très lourde responsabilité. En poursuivant des achats massifs en Chine, il a mis à mal non seulement la Coop des Masques, mais l’ensemble de la filière française de production. Songez par exemple que la Coop des Masques a répondu à un appel d’offre de la Préfecture de Paris (Ministère de l’intérieur) pour un marché de 7 millions de masques. Nous avions offert 2,75 euros la boite de 50, la Préfecture a confié le marché en septembre 2022 à trois importateurs de masques chinois au tarif de 1,02 à 1,10 euros la boite. Ces prix de vente ne couvrent pas le coût des matières premières. Le même exemple existe avec le ministère de l’armée qui a acheté en mai 2022, un montant considérable de masques en Chine. Sur ce sujet il n’est pas inutile de lire le manifeste rédigé par notre syndicat des fabricants de masques : https://www.syndicat-f2m.fr/bonjour-tout-le-monde/
Mais le rôle de l’Etat est beaucoup plus pervers que son rôle dans l’assèchement du marché avec les masques chinois. Souvenons-nous que le mot d’ordre en 2020 et 2021 de l’Etat était de réindustrialiser la France. Pour concourir à ce but, L’Etat a aidé les entreprises au moyen de subventions (1 200 000 euros pour la Coop des Masques). Les subventions représentant en général 20 à 30% de l’investissement, les entreprises ont donc dû recourir à des financements (emprunts, crédits baux, trésorerie). C’est le cas de la Coop des Masques qui s’est laissée entraîner dans cette spirale d’investissements, mais qui en définitive n’a pas le moyen de faire face à ses engagements puisque l’Etat et les grands donneurs d’ordre passent leurs commandes en Chine. La Coop des Masques est maintenant fermée, tout comme des dizaines d’autres ateliers en France.
Que retirer de cette expérience ?
En premier lieu le conseil d’administration vous remercie car vous avez permis au projet de se mettre en place en un temps record.
Nous avons eu des succès joyeux : un grand nombre de sociétaires, une équipe de salariés soudés et professionnels, de nombreux clients récurrents de soin à domicile, de cabinets d’infirmiers, de dentistes, de certains hôpitaux, …, de nombreuses collectivités locales qui ont aussi parfaitement joué le jeu. Nous avons créé du lien et appris à nous connaître.
Nous avons aussi fait la preuve collectivement que la structure coopérative était la forme de société adaptée à ce projet. Réunir autant d’usagers, de citoyens et de collectivités pour bâtir un outil industriel voué à la production d’équipements sanitaires stratégiques est un succès exceptionnel que seule une structure de SCIC est capable d’assimiler en aussi peu de temps. Sur le plan opérationnel, la démonstration est faite qu’une entreprise solidaire qui rencontre les mêmes difficultés ou succès qu’une entreprise classique, est tout aussi capable de mener à bien un tel projet avec la même réactivité.
Pour garantir la souveraineté d’équipements sanitaires de nécessité publique sur un territoire comme la Bretagne le modèle de SCIC était sans équivoque le bon, mais il aurait très certainement fallu le renforcer par une charte liant la Coop et ses sociétaires.
Christophe Winckler
Président du conseil d’administration
Coop des Masques bretonne et solidaire