A gauche.Débattre oui mais pas pour une union au rabais. Choisir entre deux méthodes. Par Roger Martelli
Après l’appel Libération-Mediapart-Regards en faveur d’un débat Hamon-Mélenchon, Roger Martelli réaffirme la nécessité du débat entre les candidats, mais dément la nécessité d’une union dont il redoute les conséquences. Regards
http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/gauche-choisir-entre-deux-methodes
Le titre et les passages en gras sont de l'Huma Lannion
Trois médias, dont Regards, ont demandé à Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon de débattre publiquement. Le texte de compromis, appel diffusé sur l’ensemble des trois médias contient une phrase que, personnellement, je ne partage pas : elle affirme que les deux hommes porteraient une responsabilité énorme s’ils concouraient séparément à la présidentielle. Mais l’essentiel du communiqué est dans cette autre affirmation, que je fais mienne, selon laquelle ils se doivent de dire de façon claire, soit comment ils peuvent s’unir, soit pourquoi ils ne peuvent pas le faire.
Je tiens pour ma part qu’ils devraient s’y atteler, pour une raison toute simple : une majorité d’électeurs de gauche rêve d’une gauche rassemblée, pour battre la droite et, plus encore, l’extrême droite. Ou bien on pense qu’il est possible d’accéder à cette demande et il faut énoncer les conditions qui lui permettent de se réaliser. Ou bien on considère qu’elle n’est pas de saison et il faut montrer les raisons profondes de cette impossibilité. Dans tous les cas, la gauche française a le droit de savoir ; et pour que les choses soient loyalement exprimées, autant le faire en face-à-face.
Ce préalable étant énoncé, entrons dans le vif du débat. Je considère que, dans l’état actuel, un accord de premier tour, entre la logique Hamon et la logique Mélenchon, relèverait d’un faux-semblant, dont le prix à payer pourrait être redoutable.
Il est vrai que ces élections se déroulent dans un climat inédit de crise politique et d’éparpillement du paysage politique français. La droite est allée de l’avant, mais est perturbée par la forte poussée du Front national. La gauche, elle, a été désorientée et même désespérée. Ce n’est pas l’affaire d’une élection, ni même d’un quinquennat. La fragilisation de la gauche trouve sa racine dans le tournant qui, à partir de 1982-1983, conduit la force majoritaire à gauche – le Parti socialiste – à choisir de s’adapter aux contraintes présumées de la mondialisation.
Dans le marasme politique actuel, une force qui regroupe entre un cinquième et un quart de l’électorat au premier tour de la présidentielle peut certes espérer accéder au second. Mathématiquement, le total des intentions de vote Jadot-Hamon-Mélenchon laisse espérer que cet objectif peut être atteint. Admettons – ce qui est loin d’être sûr – que la mathématique rejoigne la politique et que les intentions de vote s’additionnent vraiment. Un candidat ou une candidate du bloc ainsi délimité pourrait franchir l’obstacle du premier tour et, face à Marine Le Pen, pourrait sur le papier être élu(e) au second tour.
Qui peut croire, avec une si faible base électorale, que pourrait s’appliquer une politique en rupture avec tout ce qui s’est fait depuis plus de trois décennies ? Et comment la gauche pourrait-elle convaincre, au pouvoir, en contournant l’exigence de cette rupture ?
Poursuivons le raisonnement. Ce qui relance conjoncturellement l’espérance à gauche, c’est l’abandon de François Hollande et la défaite de Manuel Valls à la primaire du PS. Voilà un fait qui ne peut cas être sous-estimé. Il pourra s’avérer décisif pour l’avenir à long terme de la gauche française. Mais s’il ne faut pas le négliger, il ne serait pas plus raisonnable d’en surestimer la portée. Benoît Hamon, à ce jour, n’a pas pris de distance avec l’évolution longue du PS. Son droit d’inventaire s’applique à la gestion Valls ; pas à la totalité de la gestion Hollande et, a fortiori, pas à celle de leurs prédécesseurs. Suffirait-il de revenir à 2012 et à la tonalité un peu plus à gauche du discours du Bourget ? Ce ne serait ni raisonnable ni responsable.
Le problème tient-il seulement aux intentions formelles de Benoît Hamon ? Il l’a emporté sur la base du rejet de Valls : cela en fait désormais candidat officiel de tous les socialistes. Or beaucoup parmi eux, à l’image de Jean-Marie Le Guen, expliquent d’ores et déjà qu’il est un candidat « radicalisé ». S’il pousse un peu trop loin sa critique globale du quinquennat, il court le risque de reporter une part plus grande encore des responsables et militants attachés aux choix gouvernementaux vers Emmanuel Macron. Est-il prêt à le faire ? Est-il prêt à l’exprimer dans la tonalité globale des futures candidatures socialistes aux législatives ?
Pour l’instant, on est loin du compte, dans la parole officielle et dans le profil prévisible d’une majorité à venir. Si, parce qu’il ne peut pas faire autrement, B. Hamon ne tranche pas entre rupture et compromis, il reste dans la vieille méthode de l’entre-deux. Or elle a épuisé la gauche française à plusieurs reprises ; elle lui interdit de reprendre l’offensive, de percer électoralement et, surtout, de réussir l’épreuve du pouvoir.
Pour régler le problème suffit-il de mettre par écrit les bases d’un accord bien à gauche ? Une charte ou un pacte ? Ils n’ont pas manqué dans le passé. En 2001, communistes et socialistes ont signé un accord politique solidement à gauche, pour les deux dernières années du gouvernement Jospin. Il n’a pas empêché un recentrage de l’action gouvernementale, entre 2000 et 2002, avec les conséquences politiques que l’on sait. En 2012, encore, écologistes et socialistes ont adopté un catalogue commun de mesures environnementales, base de la participation gouvernementale d’EE-LV : combien ont été appliquées ? Et là encore, à quel prix ?
Pour rassembler le peuple, il faut en passer par un rassemblement de la gauche. Mais pour promouvoir l’égalité et la souveraineté populaire, ce rassemblement ne sert pas à grand-chose, s’il ne se construit pas sur un projet et sur une méthode de rupture avec les logiques délétères de la concurrence et de la gouvernance. Ce n’est pas alors affaire de texte, mais de volonté, de cohérence, de méthode d’action, et pas seulement gouvernementale. Et, de plus, c’est affaire d’équilibre au sein de la gauche elle-même.
La débâcle de Hollande et de Valls ouvre la porte de la reconstruction pour une gauche bien à gauche. Mais convenons qu’il y a aujourd’hui deux manières d’y parvenir. Mélenchon incarne un esprit de rupture, construit sur un long parcours, partagé avec beaucoup d’autres au fil des combats européens et nationaux. Hamon incarne un entre-deux, prometteur sans doute, préférable à la dérive sociale-libérale, mais qui reste du domaine du discours et qui hésite à aller jusqu’au bout de la rupture.
L’essentiel, pour la gauche d’aujourd’hui et de demain, est de dire lequel de ces états d’esprit est le plus propulsif, pour mettre fin à la pression d’une droite de plus en plus radicalisée. Jean-Marie Le Guen redoute un excès de radicalité à gauche ? Il faut lui dire, de façon massive, que le réalisme n’est pas dans la soumission, ni à l’esprit de concurrence, ni à la tentation technocratique, ni aux sirènes de l’état de guerre. Selon la réponse donnée par les citoyens, la gauche se redressera ; ou alors, elle sera réduite à compter sur les seuls faux-pas d’une droite classique bien à droite. Au risque de laisser la mise finale au Front national. La gauche, en fait, n’a plus droit à l’échec, dans les urnes et au gouvernement.
On conviendra que ce débat n’est pas de mince importance. Il ne servirait à rien de nourrir l’espoir d’une gauche immédiatement rassemblée, pour faire ensuite porter la responsabilité de la désunion sur tel ou tel. Ce petit jeu n’est pas à la hauteur des enjeux. Mais la dispute nécessaire à l’intérieur de la gauche, n’est pas le combat contre la droite. Elle peut se mener, sans faux-semblants, sans calculs boutiquiers, sans hargne et sans dissimulation. La gauche française le vaut bien. Offrons-lui ce débat