Le Pen adhère au système par J.L. Mélenchon
Madame Le Pen a remporté au moins un grand succès. Elle est parvenue à dédiaboliser totalement son mouvement et sa personne. Symbole de cette admission au club approuvé par le système, l’actualité de ce dimanche douze janvier là. Elle tenait le meeting de lancement de sa campagne européenne. Mais l’hebdomadaire Macroniste JDD me désignait comme le danger public numéro un. Une pleine page sombre de une. Le lendemain, le gratuit 20 Minutes affichait à son tour une pleine « une » avec la dame au sourire dans une photo et un slogan flatteurs. Puis Le Monde et Libération revinrent à la charge contre moi, en pleine page et à la « une », pour montrer du doigt « l’autocrate », comme dit Le Monde, qui dirige selon eux le mouvement des Insoumis « d’une main de fer » ,comme précise l’éditorialiste de Slate. Ce « journalisme » de ragots ne se soucie naturellement pas de vérifier les accusations qu’il relaie. À l’avenir, un bouton « partage » devrait suffire là où de couteux copistes pérorent aujourd’hui. L’algorithme qui a fait les commentaires de résultat électoraux au Monde trouverait là un autre bon usage.
Bref : du « centre gauche » à la droite extrême, Le Pen bénéficie dorénavant de la bienveillance qui se transforme à mon sujet en une inépuisable hargne. Il est loin le temps où la récusation du lepénisme mobilisait tous les bons esprits de ce pays. Il n’en est que plus curieux de nous voir accusés de pencher du côté de quelqu’un que plus personne ne combat, à part nous. Qui a vu madame Lapix sur France 2 passer les plats en tremblant devantLe Pen puis me faire ses questions corpos ou embrouillées a eu un tableau significatif de la situation. Dans le même temps, évidemment, le PS et Hamon faisaient de leur côté le service d’accompagnement du dénigrement permanent. « Dérive populiste rouge brun » a même dit Olivier Faure (le chef du PS). La mode est donc que chacun apporte sa bûche à mon bûcher. Et comme le statut « d’ex-proche » de moi est devenu une étiquette médiatiquement appréciée, les vocations au tir dans le dos s’encouragent. Rien ne me sera épargné. Je le sais. Car la stratégie du pouvoir est limpide. Elle construit méthodiquement les deuxièmes tours d’élections dont il a besoin : Le Pen plutôt que la droite d’un côté, des insoumis confinés dans la léproserie de l’autre. Tout ce qui concours à construire ce paysage est encouragé.
Mais il s’y ajoute une donnée nouvelle. Sorti des traditionnelles stigmatisations, le pouvoir et ses amis de tous bords sont dorénavant gênés aux entournures. Car si madame Le Pen bénéficie de cette tendresse des élites du « cercle de la raison » c’est que ses détracteurs d’hier ont du mal pour la contredire sitôt qu’on entre dans les détails. En effet, ils lui empruntent trop de sa politique. Les macronistes en particulier avec les dispositions sur les délais de rétention des migrants, les abrogations de cotisations sociales, les mesures de criminalisation de l’action revendicative. À présent qu’elle récuse l’augmentation du SMIC, la retraite à soixante ans, prône le maintien de la cinquième République et admet l’Union Européenne, madame Le Pen est acceptée dans le beau monde. Et les Insoumis deviennent alors la cible commune. Et les attaques que nous porte l’extrême droite viennent nourrir le discours de ces nouveaux partenaires sur les mêmes sujets. Ainsi quand elle nous accuse « d’islamo gauchisme », reprenant les mots de Valls et de quelques autres au PS, chez la République en Marche et dans l’extrême droite communautariste. Ou quand elle prend à son compte les arguments affirmant que j’aurais « exclu les partisans de la laïcité et de la souveraineté » de nos rangs. Lapix en est restée coite et remplie d’autosatisfaction : elle a bien joué son rôle de passe-plat.
Marine Le Pen affiche son soutien aux gilets jaunes. Elle le fait sans en rajouter, non par peur de la récupération mais parce que le parti d’extrême droite a beaucoup de mal à être celui des gens qui « créent le désordre », et « font des violences ». Les contradictions ne s’arrêtent pas là. Ainsi quand elle fait mine de critiquer le gouvernement pour avoir « choisi la répression » et « criminaliser le mouvement ». Il se trouve que, dans le cadre de son activité de députée, madame Le Pen a voté avec le gouvernement pour ce qui concerne l’aggravation des mesures sécuritaires contre les libertés publiques. Ainsi quand les députés de la France insoumise ont voulu supprimer la possibilité d’imposer des fouilles arbitraires et obligatoires autour des rassemblements comme les manifestations. Elle comme les autres députés lepénistes ont rejeté cette proposition. De même que celle où nous proposions l’accès au dossier de la part de la défense dès le stade de la garde à vue ou de l’audition. Aujourd’hui, ces mesures répressives sont largement utilisées par le pouvoir contre les gilets jaunes.
Elle feint de s’indigner de la « désespérance sociale » des Français engagés dans le mouvement mais ne dit aucun mot de leurs revendications. Et pour cause : son programme comprend beaucoup de dispositions anti-sociales totalement contradictoires avec les revendications des gilets jaunes. Par exemple, elle proposait de pouvoir allonger le temps de travail par des accords de branches. Pour les salariés, c’est du salaire perdu puisque le déclenchement des heures supplémentaire recule. Depuis la présidentielle, Macron l’a fait. Comme le Président des riches, l’héritière de Montretout est contre la hausse du SMIC. Elle l’a rappelé en plein mouvement des gilets jaunes, le 26 novembre, répondant à une question de Jean-Jacques Bourdin : « j’ai toujours dit que l’augmentation du SMIC entrainerait une charge supplémentaire pour les entreprises qu’elles ne peuvent pas assumer ». Un langage que ne renierait surement pas Bruno Le Maire. Sur la retraite à 60 ans, elle s’est dit un temps favorable. Puis elle a vite fait machine arrière, en précisant dans un entretien à Valeurs actuelles que « s’il apparaît que l’on ne peut pas maintenir notre système de retraite et accorder un départ à 60 ans (…) les Français accepteront les sacrifices qu’on leur demandera. ».
On vérifie le fossé entre les positions réelles du Rassemblement national et des gilets jaunes en examinant le vote des députés FN à l’Assemblée. Sur la démocratie et l’intervention du peuple dans les institutions, ils ont clairement marqué une distance avec nous lorsqu’ils ont voté contre notre amendement proposant d’instaurer le référendum révocatoire pour les parlementaires. Ils ont également voté contre la convocation d’une Assemblée constituante. Une confirmation supplémentaire de leur nouveau ralliement au régime actuel de la cinquième République. Quand les députés insoumis sont à la pointe contre l’irresponsabilité écologique et sociale du gouvernement, la bande de Le Pen est absente. Impossible de les trouver lors des deux votes que nous avons imposé pour l’interdiction du glyphosate. Nous avons proposé l’interdiction de l’épandage de certains pesticides reconnus dangereux pour la santé dans un rayon de 200 mètres autour de lieux de vie. Ils ont voté contre. Lorsque nous avons bataillé pour que l’interdiction de vendre la SNCF au privé soit inscrite dans la loi, les trois députés du Rassemblement national présents se sont abstenus sur notre amendement.
Tel est à présent le « Rassemblement National ». Mais sur tous ces sujets, on le voit les positions de Le Pen rejoignent celles de la majorité parlementaire « La République en marche », de nombre de LR et de pas mal de PS.
Sur l’Union européenne, le discours de Marine Le Pen est devenu des plus conciliants pour ses traités et ses institutions. Elle explique que son but est d’être une « alternance en Europe » : il n’est donc pas question de changer le cadre. Au fil du discours, elle confirme que son parti, contrairement à la « France Insoumise », n’a pas l’objectif de sortir des traités européens. « Tout se fera dans la négociation, dans le respect des règles juridiques, institutionnelles et diplomatiques » précise-t-elle pour que chacun comprenne que son nouvel objectif est de s’inscrire dans le cadre européen actuel. Faut-il comprendre qu’avec elle au pouvoir, la France ne désobéira pas unilatéralement pour cesser d’appliquer la directive travailleurs détachés ? Qu’elle accepterait l’autorisation du glyphosate pour 5 ans supplémentaires ? Le Pen débite donc une version liftée de « l’autre Europe », proposée à chaque élection depuis 30 ans par le Parti socialiste. Ce tournant européiste est confirmé par l’inclusion sur sa liste, à la troisième place, de Thierry Mariani. Cet ancien député a notamment voté en 2008 pour le Traité de Lisbonne que le peuple avait rejeté par référendum deux ans plus tôt. À l’extrême-droite, on peut donc afficher sur la scène d’un meeting le slogan « le pouvoir au peuple » et mettre en avant une personnalité qui a trahit sans difficulté une décision populaire aussi importante.
Pour donner corps à cette nouvelle ligne, elle met en avant ses alliés qui gouvernent dans d’autres États européens. Matteo Salvini, vice Premier ministre italien, est cité plusieurs fois. Drôle d’exemple. Le gouvernement auquel il participe a fini par capituler face à la Commission européenne sur son budget, après avoir fait mine de résister. Pour rentrer dans les clous des traités budgétaires, il a sacrifié les mesures les plus redistributives, qui venaient du mouvement 5 étoiles : le projet de revenu minimum a été divisé par six, les retraites ont été désindexés de l’inflation et les investissements publics ont été divisés par trois.
L’allié autrichien, le FPÖ, qui gouverne en coalition avec la droite, est aussi pris comme modèle. Sur le plan social, le principal fait d’arme de ce gouvernement est d’avoir augmenté le temps de travail autorisé à 12 heures par jour et 60 heures par semaine. Quant à Orban, en Hongrie, il fait face à un mouvement de contestation d’ampleur contre une loi surnommée par les ouvriers hongrois « loi esclavage ». Elle augmente le nombre d’heures supplémentaires autorisées par an de 250 à 400. Cela représente l’équivalent de 50 journées de travail en plus par an, soit la suppression de fait d’une journée de repos hebdomadaire. Surtout, elle permet de payer ces heures de travail trois ans après qu’elles aient été effectuées. Le tout est fait pour satisfaire les demandes de l’industrie automobile allemande, fortement implantée en Hongrie.
Dans ces conditions, comment croire, nonobstant quelques phrases creuses sur les règles budgétaires ou le libre-échange, que le Rassemblement National et madame Le Pen représentent le débouché logique des gilets jaunes aux élections européennes ? Ne sachant que dire des sujets mis sur la table par ces derniers, Marine Le Pen est revenue dans son discours à ses fondamentaux : une vision ethnique de la communauté politique et paranoïaque de l’immigration. Elle déclare : « Notre Europe est multimillénaire. Elle est riche de son héritage chrétien ». Elle entre donc en contradiction totale avec la tradition française de défense d’une identité politique fondée uniquement sur la citoyenneté et absolument laïque.
Les passages les plus applaudis de son discours sont ceux les plus grossièrement anti-migrants. Ses enthousiastes sont peu regardant. Car si elle dit vouloir rétablir les frontières nationales elle affirme aussi vouloir conserver en même temps Frontex, l’agence européenne de garde-frontières. Cette Europe-là lui convient. Elle prévient : « avec nous, l’Aquarius n’abordera pas les côtes européennes », confirmant que sa politique migratoire consiste à laisser les gens se noyer. Voilà qui devrait faire réfléchir les commentateurs qui croient voir des convergences entre nous et l’extrême-droite. Nous avons toujours défendu l’honneur de l’Aquarius. Lors du débat sur le budget à l’Assemblée nationale, nous avons défendu un amendement pour que l’État français débloque les fonds qui lui manquaient. Ce jour-là, les députés lepénistes et macroniens furent coalisés pour empêcher notre proposition d’être votée. Le tandem fait mine de s’affronter pour mieux se compléter.