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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

Coronavirus : pourquoi la stratégie sanitaire française pose question

Franck Nouchi

Le chef de l’Etat a décidé de maintenir les élections municipales en s’appuyant sur des expertises scientifiques qu’il n’a pas rendues publiques.

Sur quelles bases scientifiques, médicales, épidémiologiques, la stratégie actuelle de lutte contre l’épidémie de coronavirus a-t-elle été mise en œuvre en France et, plus généralement, en Europe ? Pourquoi les autorités sanitaires ont-elles, dans ces pays, décidé de ne suivre ni les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ni l’exemple chinois de lutte contre l’épidémie ? En décidant de laisser l’épidémie suivre son cours et de ne pas tenter de l’arrêter brutalement, les pouvoirs publics français, sans le dire, acceptent l’idée qu’une part importante de la population va être, dans les prochains mois, infectée par le coronavirus. Avec à la clé, à tout le moins, probablement, des dizaines de milliers de personnes décédées dans l’Hexagone. Une telle stratégie, encore une fois non avouée mais de facto mise en œuvre, ne devrait-elle pas être au minimum discutée ?

On sait aujourd’hui pas mal de choses sur la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19), maladie infectieuse causée par le coronavirus SARS-CoV-2. Son taux de mortalité est de 20 à 30 fois supérieur à celui de la grippe saisonnière. Très contagieux, le SARS-CoV-2 est sensible aux désinfectants usuels. En France, le diagnostic spécifique de la COVID-19 est réalisé actuellement par une méthode de biologie moléculaire (RT-PCR spécifique) sur un écouvillonnage nasopharyngé dont le résultat est obtenu en 24 heures. Aucun test commercial simple n’est actuellement disponible.

Le SARS-CoV- 2 infecte toutes les classes d’âge, mais de façon différenciée. 87 % des patients ont entre 30 et 79 ans, alors que moins de 1 % sont dans la classe d’âge inférieure à 10 ans. La fréquence des formes sévères et le taux de mortalité augmentent avec l’âge (15 % chez les patients de plus de 80 ans et 8 % chez les patients entre 70 et 79 ans).

Deux stratégies

Lors de l’apparition des premiers « clusters » sur le sol français, une première stratégie a été mise en œuvre. Il est alors apparu que le diagnostic précoce, y compris chez des patients asymptomatiques, permettait d’identifier et d’isoler très tôt les sujets porteurs dans des conditions appropriées en termes de confinement et d’acceptation psychologique. Ces mesures ont été appliquées, par exemple dans la station de ski des Contamines-Montjoie (Haute-Savoie), avec une efficacité remarquable.

Les Chinois n’ont rien fait d’autre, mais à une échelle beaucoup, beaucoup plus large. Dès lors qu’ils ont cessé de nier l’existence même de l’épidémie, ils ont mis en œuvre un dépistage rapide des cas infectés avec un isolement des cas symptomatiques non encore testés et la mise en quarantaine de leurs contacts. Ces mesures ont été maintenues et renforcées jusqu’à la fin de l’épidémie dans le Hubei, ce qui a permis d’y éteindre l’épidémie. L’arrêt complet des déplacements à partir de cette région vers les autres régions chinoises à permis à la Chine d’y contrôler très efficacement les « départs de feux » secondaires. Il ne s‘est donc jamais agi en Chine d’une stratégie de « phase » où les premières mesures sont remplacées par les suivantes avec un train de retard, mais d’une stratégie cohérente impliquant des approches complémentaires et pas successives.

En France, comme dans la plupart des pays européens, il a été décidé que cette stratégie n’avait plus cours. On laisse filer les choses de manière à espérer voir se mettre en place une « immunité de groupe ». En clair, attendre qu’une bonne partie de la population ait été infectée, et donc vraisemblablement immunisée, pour espérer voir s’interrompre la transmission du virus. Pourquoi, et dans quelles conditions, a-t-on décidé de renoncer à la stratégie mise en place en Chine ? A-t-on complètement mesuré les conséquences, en termes de morbidité et de mortalité d’une telle stratégie ?

« Pour sauver des vies, nous devons réduire la transmission. Cela signifie qu’il faut trouver et isoler le plus grand nombre de cas possibles, et mettre en quarantaine leurs contacts les plus proches », vient de déclarer le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avant d’ajouter : « Même si vous ne pouvez pas arrêter la transmission, vous pouvez la ralentir et protéger les établissements de santé, les maisons de retraite et d’autres espaces vitaux – mais seulement si vous testez tous les cas suspects. » A l’évidence, aujourd’hui, de nombreux pays, à commencer par la France, ont renoncé à tester « tous les cas suspects ». Et, par voie de conséquence, à isoler les cas contacts potentiellement contaminés.

Quels arguments scientifiques ?

Les pouvoirs publics font valoir qu’ils ne font que se fier aux avis des « experts ». Problème : ces avis demeurent confidentiels. Personne ou presque ne sait sur quoi ils reposent. Un exemple ? Durant toute la journée qui a précédé l’intervention télévisée du président de la République, jeudi 12 mars, des rumeurs ont couru dans Paris. Pour des raisons de santé publiques évidentes, le chef de l’Etat allait annoncer le report des élections municipales. Quelques heures plus tard, revirement complet. A écouter Emmanuel Macron, les « experts » ayant affirmé qu’il n’y avait pas de risques, le scrutin devait être maintenu.

Avant d’aller voter pour le second tour dans un environnement épidémiologique qui se sera, malheureusement, considérablement aggravé, les citoyens-électeurs, ne seraient-ils pas en droit de connaître les détails de l’argumentation des scientifiques qui conseillent les pouvoirs publics ? Sans quoi, il y a fort à parier que nombre d’entre eux préféreront voter avec leurs pieds. En n’allant pas voter.

Cet article est paru dans Le Monde (site web)
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