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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

On ne peut pas dire que les Turcs ont boudé les urnes pour expliquer la manière dont ont été déjoués les pronostics occidentaux puisque les Turcs se sont rendus massivement aux urnes ce dimanche 14 mai pour une double élection, présidentielle et législative. Pas plus qu’il ne faut s’inventer qu’il y aurait eu fraude massive pour expliquer les résultats. Il faut avoir le courage simplement de regarder la réalité en face à savoir le fait que les résultats espérés par la quasi unanimité des médias français de l’Humanité au Figaro en passant par le Monde et Libération, ne correspondent pas à ce que pensent les peuples dont nous sommes convaincus de ne vouloir que le Bien. Les “coalitions” de rejet du sortant, dont nous faisons nous-mêmes Français le fin du fin de notre pratique avec le vote utile, pas plus que notre vision enthousiaste de la “démocratie” militariste d’ailleurs, ne séduit l’électorat d’autres pays. C’est un peu le thème général de nos contributions aujourd’hui: nous disons à nos lecteurs, amis quelles que soient vos sympathies ou vos antipathies, il serait temps de ne plus prendre vos opinions pour la réalité du monde tel qu’il est… et qui n’attend plus après vous d’ailleurs..

Avec un très fort taux de participation de plus de 90%, les Turcs ont montré leur foi en la légitimité des urnes. En effet, dans un premier scrutin turc, les votants avaient le choix entre seulement trois candidats pour élire un président de la République, et dans un second scrutin, ils devaient choisir parmi une longue liste de partis politiques en compétition pour siéger au parlement du pays..

Le refus de voir la réalité!

Ce qu’il faut noter est l’enthousiasme de tous les commentateurs français à imaginer la chute d’Erdogan et à faire de celle-ci le triomphe de la démocratie. Voilà, la preuve est faite de la manière dont dans ce domaine comme dans la plupart des autres ces commentateurs prennent leurs désirs pour des réalités. Puisqu’ à l’issue de ce premier tour, après 20 ans d’exercice du pouvoir Erdogan se maintient et peut-être cela est-il dû à ce qui justement provoquait un si fort enthousiasme pour son adversaire chez nous.

Dans le scrutin législatif, sa coalition arrive nettement en tête et sera donc prédominante au parlement. Et avec 49,5 % des voix, Recep Tayyip Erdogan a frôlé la victoire dès le premier tour du scrutin présidentiel. Le second tour le 28 mai lui est tout ouvert.

Est-ce que nos analystes qui toutes tendances confondues, de l’Humanité au Figaro frémissaient d’amour pour son adversaire,iront jusqu’à faire un début d’autocritique? Rien de moins sûr, on ne change pas des analyses qui relèvent du consensus national le plus imbécile mais sur laquelle repose l’acceptation de tout y compris d’aller jusqu’à la guerre nucléaire.

Le contexte économique n’est pas plus favorable que celui de la plupart des pays, mais vous remarquerez que nos commentateurs font comme si eux-mêmes étaient en pleine prospérité. Certes l’inflation est plus considérable encore qu’en France et presque comparable au désastre de Grande-Bretagne, il y a une baisse du pouvoir d’achat depuis deux ans, et pour que le tableau doit complet, les conséquences ravageuses et dramatiques d’un séisme où le pouvoir a été très critiqué pour sa désorganisation face au sinistre, avec des soupçons de malversation et de carence totale de l’Etat…

Echec de l'opposition

La plupart des sondages et analystes tant en Turquie qu’à l’étranger prédisaient une défaite voire une déroute pour le président Erdogan et son parti. D’aucuns parlaient même d’une victoire de son principal rival dès le premier tour.

Certes il y a dans les résultats de Kemal Kılıçdaroglu une matière d’exploit avec près de 45% des voix il a réussi à coaliser l’essentiel des oppositions ce qui est extraordinaire vu le caractère totalement hétéroclite des dites oppositions. Bien que ce soit là ce qui demeure le talon d’Achille de la dite opposition, parce qu’il faut bien dire qu’ici comme à peu près partout dans les “démocraties”, ce qui s’exprime alors c’est seulement l’art et la manière de se débarrasser du pouvoir en place et pas la moindre perspective. L’idée forte que sur le fond il n’y a pas d’alternative simplement d’autres bien décidés à se partager le gâteau, et que l’on sait ce qu’on a et pas ce qu’on prend. Résultat “le faiseur de roi” a toute chance d’être un inconnu qui est marginal soit parce qu’il est totalement déconsidéré (c’est le cas du Pasok en Grèce) ou totalement inconnu mais ayant provoqué un engouement y compris xénophobe c’est le cas de Sinan Ogan, chef d’un parti de droite nationaliste, qui a récolté 5% et dont le programme antikurde et anti-réfugié s’harmonise plus avec Erdogan qu’avec son adversaire. Surtout que n’en déplaise à nos commentateurs unanimes de l’Humanité au Figaro en passant par le Monde et Libération, les résultats des législatives ont créé une dynamique pour Erdogan. En effet, l’alliance dite populaire composée de son parti et d’autres formations nationalistes ou islamistes, obtient 49 % des voix, soit 321 sièges – dont 266 pour le seul AKP – sur un total de 600 que compte le parlement turc. La coalition de l’opposition, dirigée par Kemal Kılıçdaroglu, n’obtient que 35% des voix, soit 213 sièges – dont 169 pour le Parti Républicain du Peuple (Cumhuriyet Halk Partisi), le parti historique social-démocrate, nationaliste et laïc, d’Atatürk fondé en 1923. Les cinq autres coalisés sont plumés.

 

La carpe et lapin ça ne marche pas!

Bref la “sanction”, tant espérée par nos commentateurs unanimes et qui ont fait leur une là-dessus, n’a pas eu lieu et cela même dans les provinces directement touchées par le tremblement de terre, le soutien à Erdogan et à son équipe s’est exprimé de façon très nette.

Au-delà des préoccupations économiques, les électeurs n’ont pas non plus sanctionné la dérive politique autoritaire. Les restrictions de l’État de droit et le recul des libertés, dont ils sont pourtant les premières victimes, n’ont pas suffi à les faire rejoindre l’opposition qui promettait de les restaurer. Plus étonnant encore, comment se fait-il que l’électeur turc, y compris celui de la diaspora allemande et française dont les votes en faveur d’Erdogan ont été encore plus massifs (plus de 60% ), n’ait pas suivi la vertueuse démocratie à la mode de chez nous, eux qui en contemplent tous les jours les bienfaits ?

La première idées qui s’impose est que les coalitions basées sur l’unique principe du rejet des sortants ne sont pas crédibles et leur hétérogénéité n’est pas une garantie.On finit même par se dire on sait ce qu’on a on ne sait pas ce qu’on prend. Dans ce cas, six partis qui prétendaient coaguler la social-démocratie, le nationalisme et l’islamisme ne sont apparus comme une garantie pour l’avenir . Ce genre de constat devrait être médité par nos commentateurs surtout quand l’élection comme cela va être le cas pour les prochaines européennes en France ne provoque en aucun cas le moindre enthousiasme et quand elle prétend unir des gens qui n’ont pas grand chose de commun en particulier sur l’Europe elle-même.

Donc dégager Erdogan n’a pas constitué un programme politique, économique et social suffisant pour signer un blanc-seing à une opposition de circonstance et non de cohésion. La seule cohésion que représentait la liste turque d’opposition s’appuyait d’abord sur des aspects de liberté et d’état de droit opposé aux inquiétudes d’insécurité et aux promesses du maintien de l’ordre, quitte à ce que le statu quo se fasse au détriment de milliers de citoyens, privés arbitrairement de leurs droits. Voilà l’enjeu tel qu’il se proposait aux électeurs turcs, le tout assorti de l’exemple de l’intervention occidentale avec le patron étasunien et autres européens en promoteur de la vertueuse démocratie. Le tout flanqué de l’expérience syrienne, des printemps arabes avec l’afflux massif des réfugiés chassés de leurs pays par la nécessité défendue par l’occident d’en finir avec la tyrannie, face auxquels Erdogan avait joué a contrario et non sans duplicité sur la grandeur de la Turquie, sa stabilité et son rayonnement sur la scène internationale.

Les communistes français devraient s'interroger

Par parenthèse, il faudrait peut-être que les communistes français s’interrogent sur les soutiens qu’ils apportent de manière prioritaire et quasi exclusives à ces malheureux kurdes ou aux femmes iraniennes dans des pays où le sentiment national est aussi fort que la Turquie et l’Iran. Où la cause en question finit par se confondre aussi puissamment avec les déstabilisations de l’impérialisme étasunien, avec les coalitions militaires et les drames de guerre civile fomentée à partir des révolutions de couleur. Les Kurdes, en particulier du PKK, qui se sont trouvés de plus en plus impliqués dans les coalitions montées par les USA et qui ne rallient pas à eux la totalité des Kurdes sont certes devenus les héros de BHL et de Pierre Laurent, mais ils ont été un cadeau empoisonné pour la coalition de Kemal Kılıçdaroglu. En effet, en se positionnant dès le premier tour au profit de Kemal Kılıçdaroglu, ils ont conforté le vote sécuritaire comme ils risquent de gouverner le report des voix de Sinan Ogan avec l’argument de la cohérence entre vote législatif et présidentiel.Qu’est-ce que la “sécurité” y compris pour les femmes en particulier des milieux populaires dans un tel contexte ?

En conclusion, nul ne peut se réjouir des résultats d’Erdogan et de sa capacité à créer partout les conditions d’une hégémonie cherchant la déstabilisation, comme on le voit en Arménie ou en Syrie, mais il faut reconnaître qu’il y a là un aspect très raffiné par rapport à la doctrine historique Ottomane puisque si la guerre demeure un principe de conquête, Erdogan en arrive non pas à faire la guerre mais à prétendre en obtenir les avantages sans la faire en jouant sur la guerre des autres (en l’occurrence celles des USA et de ses amis de l’oTAN tout en jouant les bons offices). Pas plus que son régime ne présente un idéal d’émancipation humaine tout en maintenant un “droit” dont il entretient le consensus y compris par élections.

Prendre en compte la complexité des civilisations

Face à la complexité des civilisations dont nous ignorons tout et le mépris dans lequel nous tenons les besoins populaires autant que des cultures millénaires, plus la baisse évidente de nos moyens de coercition qui n’a d’égal que le maintien de notre arrogance, peut-être sommes-nous invités à en rabattre. Il faut bien mesurer que l’alternative dans laquelle les “démocrates” à la française, de l’Humanité au Figaro en passant par le Monde et Libération, leur soutien à des coalitions hétéroclites et dont le seul mérite est d’être adoubées par nos médias et ceux aux ordres des Etats-Unis ne mène nulle part. Déjà dans notre pays et en Europe et cela s’amplifie dans d’autres civilisations qui ne supportent plus notre mépris et nos ingérences.

Un telle vision contraint les forces progressistes qui s’y rallient à se perdre dans un combat désespéré pour la “laïcité”, la libéralisation des mœurs comme un universel étranger, à être isolés tant elle apparaissent comme les relais de l’occident.

Ici comme ailleurs la seule voie est de s’affirmer résolument pour une solution socialiste et pour la négociatio sur la base de coopération et d’avantage réciproques matériels et pacifiques, pas de contribuer aux bonnes œuvres de pillage et d’invasion des Etats-Unis. Nous ne sommes pas assurés d’un triomphe immédiat mais en tous les cas la position est plus d’avenir y compris face aux alternatives de développement du socialisme à la chinoise qui lui a non seulement des moyens réels mais également la patience de la négociation.

Le PCF devrait faire le bilan de sa politique étrangère

Il faudrait à cette occasion avoir le courage de faire enfin le bilan de la politique internationale du PCF, celle de l’invraisemblable 39 e congrès, l’état de désarroi dans lequel il laisse le militant communiste par rapport à la transformation du monde, question qui n’a plus rien de subsidiaire même si l’on s’obstine à ne pas établir la moindre relation entre l’inflation, les dépenses folles en armement et les programmes politiciens. Enfin, quand est-ce quand on se décidera non seulement à ne pas limiter les méfaits du capitalisme à l’évasion fiscale mais à ne plus se contenter de porter le coeur en écharpe, au point de ne jamais faire la critique de cette ligne qui de fait n’a cessé de soutenir partout et toujours les bonnes œuvres de l’OTAN. Une ligne qui s’est poursuivie et amplifiée plus que jamais lors du dernier congrès, sans avoir le courage de lier émancipation humaine au socialisme dont il fut décidé de ne pas s’occuper. En appuyant de fait l’intervention de l’OTAN en Ukraine, pour toute introduction à l’état du monde et en affirmant son soutien plein et entier aux exigence de cette dernière c’est-à-dire aux forces de l’OTAN à l’insécurité maximale au nom d’une “démocratie militarisée. Ce Congrès s’est payé le luxe en ouverture internationale de ne donner la parole qu’ aux seuls partis et forces entrant dans ce camp. La logique consistant à voter en faveur de racontars de Glucksman et sa bande sur les Ouïghours va dans le même sens et on ne peut pas accuser un quelconque ventre moi vu l’état général sur le sujet. Il n’y a guère que la proposition en faveur de Cuba qui ne suive pas la même pente, on attend avec impatience la mise en oeuvre par les mêmes.

Toute ironie mise à part, c’est un vrai problème parce que si les partis communistes continuent à soutenir ces coalitions ils vont être conduits à se retrouver face à des peuples qui partout au nom d’une forme de sécurité et de défense de la nation vont préférer des choix conservateurs, voire réactionnaires à ces coalitions pro-otan et qui ne mènent qu’à la guerre telle qu’on la voit en Ukraine. Tous les combats progressistes y compris féminins en seront les victimes. Encore faudrait-il avoir le courage de définir le socialisme comme but et moyen et pas une coalition de rejet baptisée Front populaire.

Danielle Bleitrach

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