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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

https://books.openedition.org/pur/8869?lang=fr 

 

La Bretagne ne fait pas exception. La fin de l'Occupation s'est traduite sur l'ensemble du territoire par un cortège d'atrocités allemandes. Les massacres s'égrènent entre juin et août 1944 en Bretagne, jusqu'en novembre dans l'Est de la France, et concernent des résistants, des otages, de simples villageois. Les auteurs de ces actes de barbarie ne sont pas seulement des SS, sélectivement diabolisés par la mémoire collective, mais aussi des soldats de la Wehrmacht, et des troupes supplétives de l'armée allemande : Ukrainiens et Géorgiens de l'armée Vlassov, organisations collaborationnistes paramilitaires comme la formation Perrot, ou parapolicières telles que les groupes d'autoprotection, le Groupe d'Action pour la Justice Sociale du PPF et la milice Darnand. Ces exactions sont suffisamment nombreuses et aléatoires pour que chacun puisse anticiper, par son imaginaire, son propre martyre. Certes, les résistants sont les principales victimes de ces crimes. Refusant de voir dans les FFI des prisonniers de guerre, les Allemands multiplient les exécutions sommaires de partisans pendant l'été 1944. Une Cour martiale allemande siège au Faouët, au cœur d'une terre de maquis, elle prononce la peine de mort pour plus d'une soixantaine de résistants entre le 23 juin et le 2 août8. À Saint-Vincent-sur-Oust, six résistants furent fusillés le 22 juin 1944, après avoir été torturés, vraisemblablement par un groupe de la formation Perrot9. Le 25 juillet, une vingtaine de patriotes furent exécutés dans le bois de Colpo dans le Morbihan, après avoir été torturés, par des Allemands et quatre membres de la formation Perrot10. Ce ne sont que quelques exemples parmi d'autres, cette répression massive concernant également les civils.

Dans l'enquête communale précédemment citée, 71 communes (53 %) répondent « oui » à la question : « Les Allemands ont-ils saisi des otages, exercé des sévices et des violences surtout à la fin de l'Occupation ? » Huit, soit 6 %, donnent une réponse nuancée. La municipalité de Douarnenez précise que le 6 août 12 personnes ont été arrêtées mais aussitôt relâchées, celle d'Ouessant confirme qu'il y a eu des otages mais pas de violences. Il semble bien que ces huit communes n'aient pas eu à subir de brutalités physiques de la part des Allemands. Il en est de même pour les 55 bourgs, 41 %, qui répondent « non » à cette question, Beuzec-Cap-Sizun faisant état de « violences sans gravités ». Ainsi, un peu plus d'une commune sur deux a acquis le sentiment d'avoir été victime de violences de la part des Allemands. L'évocation des brutalités s'égrène du simple « oui » sans commentaire à la dénonciation de rafles ou de déportations, et jusqu'à celle des actes de barbarie : « 15 fusillés et brûlés vifs » à Landeleau, « otages fusillés » le 8 août 1944 à Plouvien.

 

Les violences allemandes concernant les civils ont été discriminées selon quatre types dominants. Afin d'inclure cette typologie dans une perspective large, le choix de la dénomination des types s'est porté sur des sites emblématiques des violences allemandes de la fin de l'Occupation, érigés depuis en lieux de mémoire et connus de tous. Dans le premier type, le massacre des populations civiles se produit car, proches des maquis, elles assuraient leur soutien logistique, ou étaient simplement présentes sur les lieux au moment de la répression. C'est le type Vassieux-en-Vercors11, où, le 21 juillet, les planeurs se posèrent et les commandos allemands fusillèrent 16 personnes du village, conjointement à l'attaque du maquis du Ver- cors. Ce fut le cas lors de la répression qui suivit la bataille de Saint-Marcel. Les Allemands revinrent après la bataille, achevèrent les blessés après les avoir torturés, et assassinèrent les civils, hommes, femmes et enfants dans les villages et les bois alentours ; la doyenne, âgée de 83 ans, impotente, fut assassinée dans son lit. Ces massacres furent commis par le 261e escadron de cavalerie ukrainien et le 708e bataillon d'infanterie géorgien ; quant aux soldats de la Wehrmacht, ils brûlèrent les châteaux de Sainte-Geneviève et des Harys-Béhélec, puis les fermes et le bourg de Saint-Marcel le 27 juin 194412. Ce fut le cas également, le 7 juillet, lors de l'expédition contre le maquis de Broualan en Ille-et-Vilaine. Les groupes collaborationnistes, la milice Darnand, le GAJS / PPF, la formation Perrot, assassinèrent huit résistants, un officier américain, trois agriculteurs et brûlèrent deux fermes13.

 

Le second type concerne la prise de civils en otages, puis leur assassinat, afin de décourager les maquis ou de se protéger des offensives alliées. C'est le type Tulle, où 99 otages furent pendus et exposés le 9 juin par les SS de la division Das Reich. Des listes d'otages avaient été dressées par les autorités allemandes au début de l'Occupation ; le plus souvent choisis parmi les notables, ils devaient rendre compte de l'attitude de la population. Après des actions de la Résistance, ou lors des offensives alliées, les Allemands mettent leurs menaces à exécution et s'emparent des otages. À Rennes, les 76 « prisonniers d'honneur » furent relâchés le 2 août. À Saint-Malo, 380 hommes furent internés du 6 au 13 août au Fort National puis libérés la veille de l'entrée des Américains dans la cité14. À Saint-Pol-de-Léon, le 4 août, suite à un début de libération de la cité et une action FFI, les Allemands venus de Morlaix prennent 15 personnes en otages, 14 hommes et 1 femme, les transfèrent à Morlaix15 avant de les fusiller ; leurs corps sont rapatriés dès le 9 août au soir16. Le 13 juin, la Gestapo et la Feldgendarmerie de Saint-Brieuc exécutent 31 otages dans le bois de Boudan en Plestan17. Les chiffres à eux seuls sont impressionnants car ils témoignent des masses impliquées dans ces drames : aux victimes directes, il faut rajouter autant de proches, parents, amis, voisins qui vivent ces drames avec une intensité plus ou moins forte.

 

Le troisième type concerne ce qui pourrait correspondre à la fois à une soldatesque et à des comportements déréglés, car ils relèvent d'une véritable pathologie criminelle, tout en étant autorisés, ou pour le moins tolérés, par la hiérarchie. C'est le type Oradour-sur-Glane où, à nouveau, les SS de la division Das Reich, le 10 juin, assassinèrent de manière systématique la population de tout un village ; 642 personnes, hommes, femmes, enfants, sans distinction, périrent. Des habitants présents au moment du drame, seules 28 personnes survécurent, réussissant à s'échapper18. En règle générale, il s'agit de colonnes allemandes qui, talonnées par les forces alliées et harcelées par les maquis, massacrent des civils au cours de leur fuite ou de leur errance ; le cas des 120 hommes du bataillon Der Führer est différent : ils étaient en mission dans la région d'Oradour pour combattre la Résistance. La Bretagne ne connaît pas de massacre de l'ampleur d'Oradour, mais déplore des drames de forme voisine. Le 4 Août, à Saint-Pol-de-Léon, les. soldats qui se trouvaient au soldatenheim quittent ostensiblement la ville. Les habitants de la cité sont excités. Commence le pillage des bâtiments abandonnés par les Allemands. La communauté se réapproprie l'espace public, se rassemble sur la place centrale. En fin d'après-midi, des groupes allemands entrent dans la ville et tirent sur la foule laissant 11 morts, dont le maire Alain Budes de Guébriant. Le 8 août, à nouveau, de fortes colonnes traversent la ville fuyant depuis Morlaix en direction de Brest19. Le 8 août 1944, à Plounévez-Lochrist, 14 personnes furent assassinées sans motif apparent, dont un vieil homme de 78 ans et un enfant de 5 ans, par un adjudant-chef allemand. Dans sa folie meurtrière, il blessa par balles à bout portant une jeune fille et deux autres enfants. Le même jour à Tréflez, huit personnes furent également tuées par balles à nouveau sans motif apparent. Tous ces épisodes se produisent à la veille de l'arrivée des troupes américaines, dans les heures où les Allemands fuient l'avance alliée pour se réfugier à Brest. Sur la même route qui relie Morlaix à Brest, Cléder traverse à la même date, 14 heures effroyables et interminables20. Dans la journée du 8 août, la veille de l'arrivée des premiers convois américains, le bourg est traversé par plusieurs colonnes allemandes. Certaines sont motorisées, d'autres circulent à bicyclettes. Elles fuient l'avance alliée, sont harcelées par les maquis et se dirigent vers Brest. Le rapport du maire décrit une journée apocalyptique. À chaque passage des colonnes allemandes (on en signale trois pendant la nuit et le matin et elles comprennent plusieurs sortes de troupes) se sont fusillades, destructions des habitations, prises d'otage, assassinats. Treize personnes au total sont décédées à la fin de l'après-midi, dont sept otages. On ne compte pas les blessés, les six otages qui ont été relâchés à l'initiative du commandant allemand de Plouescat, ni les personnes directement menacées de mort, les violences physiques, les récoltes brûlées, les fermes incendiées. Les villages situés sur la route qui relie Saint-Pol- de-Léon à Plouescat subissent autant de violences que le bourg. La population terrorisée avait fui le bourg pour se réfugier dans les fermes loin des axes de communication. Le massacre avait commencé à 3 heures du matin quand, entendant des moteurs, les habitants étaient sortis ou s'étaient penchés aux fenêtres, croyant acclamer les soldats américains. Cet épisode est extrême sans être pour autant un cas isolé. Ces scènes de cauchemar témoignent de la pathologie meurtrière que développent les troupes d'occupation à ce moment précis en Bretagne, mais aussi dans le reste de la France.

 

La carte n° 2 montre la concentration de ces exactions. Les exécutions sommaires peuvent concerner des civils. À Plourin, un cultivateur fut abattu dans la Feldgendarmerie où il était détenu. À Plouescat c'est un homme ordinaire, sorti précipitamment pour applaudir une colonne militaire qu'il croyait être américaine il est tué par balles. Ces violences extrêmes concernent également l'acharnement des bourreaux sur les corps. Lorsqu'on retrouve les cadavres des 15 otages de Saint-Pol-de-Léon dans une fosse commune, le 8 août, à Ploujean, les cadavres sont méconnaissables : les crânes ont été défoncés. Sur la route sanglante qui relie Morlaix à Plouescat, pratiquement aucune commune n'échappe aux exactions des troupes allemandes. C'est un cas extrême qui n'est pas généralisable à l'ensemble des localités de la région, mais c'est une réalité vécue qui fut très répandue. Dans les seules Côtes-du-Nord, Christian Bougeard a dénombré 250 fusillés, pendus et autres tués dans les accrochages, tous abattus entre le 1er juin et le 11 août, ces chiffres, précise-t-il, étant un minimum qu'il faudra revoir à la hausse21.

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