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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

"Je n’annonce pas un départ, mais une scission. Aujourd’hui, je ne pars pas seul mais avec de très nombreux militants, des centaines de cadres et d’élus sur l’ensemble du territoire"

 

Emmanuel Maurel, le leader de l’aile gauche du Parti socialiste (PS), explique, dans un entretien au Monde, les raisons de sa rupture avec son ancienne formation, à la veille du conseil national du parti consacré à l’Europe. Il ne part pas seul, assure-t-il : « Des centaines de cadres et d’élus locaux, des maires », le suivent dans sa démarche lancée avec Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris. Désormais, il regarde en direction de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise (LFI).

 

Pourquoi partez-vous du PS ?

Mieux vaut partir plutôt que de se mentir à soi-même et aux autres. Le PS ne correspond plus à l’idée que je me fais du socialisme. Son but, c’est la défense des intérêts des gens modestes. La stratégie pour répondre à cet objectif, c’est le rassemblement des forces de gauche. Le PS a perdu de vue et l’objectif, et la stratégie.

 

Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?

Je n’ai pas supporté que les principaux dirigeants du PS accréditent la thèse des « deux gauches irréconciliables », ni qu’ils mènent une politique qui n’a pas contribué à l’amélioration des conditions de vie matérielles et morales des gens qu’ils étaient censés représenter. Ce double échec aurait dû être analysé. Non seulement ils n’ont pas tiré les leçons du quinquennat calamiteux de François Hollande, mais certains continuent de se réfugier dans le déni jusqu’à voir dans son principal instigateur un potentiel sauveur !

 

François Hollande est-il le seul responsable de l’échec du PS ?

C’est le principal. Il était à la tête de l’Etat, et il a mené, en notre nom, une politique qui a tourné le dos à nos engagements et à nos principes. Je ne veux pas être au PS le jour où il réinvestira François Hollande comme candidat.

La Hollandie a fait la courte échelle à Emmanuel Macron : il est leur créature. Les mêmes qui ont contribué à cet avènement, voté Macron au premier tour, demandé leur investiture à En marche !, nous donnent aujourd’hui des leçons de socialisme ! Je n’accepte pas cette hypocrisie. Enfin, la social-démocratie européenne a failli. Elle a été incapable d’incarner une résistance au néolibéralisme triomphant. Au contraire, elle en a accompagné le déploiement.

 

C’est-à-dire ?

Lors de la campagne aux élections européennes de 2014, nous avons expliqué aux électeurs qu’il ne fallait pas que Jean-Claude Juncker soit président de la Commission, car il était le VRP des paradis fiscaux, qu’il incarnait l’Europe dont on ne voulait plus. Et la première chose que le groupe socialiste m’a demandé une fois élu, c’est de voter pour lui !

Ce double langage, cette hypocrisie, c’est insupportable. Aujourd’hui on nous annonce que celui qui va représenter les sociaux-démocrates européens sera Frans Timmermans. Un homme qui vient de la droite, premier vice-président de la commission Juncker, connu pour sa brutalité néolibérale. Je ne veux pas être complice de cela.

 

En partant, vous risquez d’affaiblir encore le PS…

On sait qui a affaibli le PS. C’est le même courant de pensée qui est à sa tête depuis plus de vingt ans. Ce serait fort de café de me faire porter une telle responsabilité, à moi qui ai porté sans relâche une parole critique et proposé un autre chemin. Au moment où les portes se ferment sur le siège de la rue de Solférino, je ne crois pas être infidèle à cette histoire singulière, et je chéris pour longtemps encore l’idéal socialiste.

 

Le PS est-il encore un parti de gauche ?

Il appartient à ceux qui restent de répondre à cette question et d’en apporter les preuves.

 

Le PS se définit comme un parti d’opposition…

On verra au Parlement européen quand il s’agira de nouer, ou non, des alliances avec les élus macronistes et libéraux ; on verra aux municipales ce qu’il en sera des rapports avec les listes En marche !

 

Tout ce que vous dites était valable après la présidentielle ou après le congrès d’avril. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?C’est une décision difficile. Je suis au PS depuis plus de vingt-cinq ans. Je suis attaché à ses militants, à ses traditions et à ses rites. J’ai consulté, réfléchi… On pouvait attendre de la nouvelle direction qu’elle incarne le sursaut. Ce n’est pas le cas.

En France, le macronisme défigure notre République. Au niveau européen, l’Histoire nous mord la nuque avec la montée en puissance des mouvements fascistes. Au niveau mondial, la maison brûle. Il y a urgence ! Pour militer pour la transformation radicale de cette société, je serai plus utile ailleurs qu’au PS.

 

Ce sera dans le cadre de La France insoumise ?

Je ne pose pas les choses comme ça. Il y a d’abord un choix, celui de la rupture. C’est un choix d’espoir, mais aussi un retour aux sources qui redonne du sens à notre engagement. C’est exaltant. C’est aussi une volonté, celle de donner une maison à la gauche républicaine.

Le travail commencé avec les amis du Mouvement républicain et citoyen y contribuera. Notre fil rouge, c’est la République sociale. Promouvoir la laïcité, défendre les services publics, l’égalité des territoires, un modèle social de qualité, faire vivre la souveraineté populaire… Privilégier le commun sur le particulier. On doit faire la synthèse avec les luttes nouvelles, à commencer par l’écologie.

 

La maison dont vous parlez sera-t-elle LFI ?

La maison que nous allons construire est ouverte aux socialistes sincères, aux républicains éclairés, aux citoyens engagés. Je n’annonce pas un départ, mais une scission. Aujourd’hui, je ne pars pas seul mais avec de très nombreux militants, des centaines de cadres et d’élus sur l’ensemble du territoire.

 

Les « insoumis » assurent que vous avez toute votre place sur leur liste aux élections européennes de mai 2019…

Ma stratégie est celle des convergences. Avec tous ceux qui agissent dans le même sens. Il y a évidemment La France insoumise. Considérer que LFI est infréquentable, c’est stupide, et c’est se condamner à l’impuissance. Je suis pragmatique. Jean-Luc Mélenchon a fait près de 20 % des voix à la présidentielle de 2017, son mouvement est en dynamique, son programme attractif. Il faut faire avec eux ce travail de convergences.

 

Que voulez-vous dire ?

Notre objectif est de préparer le Front populaire du XXIe siècle. A la fois la fusion des mouvements sociaux et politiques et la convergence programmatique. LFI y a une place de choix : celle que les électeurs lui ont donnée.

LFI est très critiquée sur sa position eurosceptique…

Les « insoumis » ne disent rien d’autre que ce que pense une majorité des gens de gauche aujourd’hui : l’Union européenne (UE) court à sa perte si elle reste fondée sur la concurrence libre et non faussée ; le libre-échange généralisé et la libre circulation des capitaux. Car le résultat, c’est la compétition généralisée, le dumping social et fiscal, des déséquilibres structurels au profit de la seule Allemagne.

Ce qui empêche l’UE de bouger, ce sont les traités européens, véritable « camisole de force » comme le dit Arnaud Montebourg. La critique des traités qui empêchent les politiques de relance et de solidarité est largement partagée à gauche. On ne s’en sortira que par le rapport de force, avec l’Allemagne, avec la droite européenne. Et s’il faut désobéir, il faudra le faire.

 

Quitte à sortir de l’UE ?

Non, je n’ai jamais pensé qu’il fallait partir. A partir du moment où la France élève la voix, on se met autour de la table pour négocier. Ce n’est pas n’importe quel pays au sein de l’UE.

 

La question des migrants divise à gauche. Est-ce le nouveau clivage ?

Surtout pas ! Franchement, si on entre dans le piège qui consiste à dire que ce qui aujourd’hui rend impossible le rassemblement de la gauche, c’est la question des migrants, alors on est morts. C’est aussi simple que ça.

 

Pourquoi ne pas avoir signé le « Manifeste pour l’accueil des migrants » de « Politis », « Mediapart » et « Regards » ?

J’aurais adoré le signer. Je suis bien sûr d’accord pour sauver les gens qui essaient de traverser la Méditerranée ; soutenir l’Aquarius et lui donner un pavillon français ; régulariser les travailleurs sans papiers ; dire que l’accueil des réfugiés politiques doit être inconditionnel, parce que ça correspond à la tradition d’asile de la République française.

Mais il y a dans le texte un parallèle entre la libre circulation du capital – ce à quoi je ne me résigne pas – et la libre circulation des êtres humains. Je considère qu’il faut de la régulation, et que ça vaut aussi pour la circulation des êtres humains.

Deuxième chose, il y a une formule maladroite qui consiste à considérer que dès qu’il y a frontière, il y a mur, et dès qu’il y a règle, il y a répression. Je ne partage pas ce point de vue.

 

Serez-vous candidat aux élections européennes ?

C’est vraisemblable : je pense avoir un bon bilan de député européen et j’ai envie de continuer à mener les combats qui me tiennent à cœur. Notamment dans le cadre de la commission commerce international : moratoire sur les traités de libre-échange, élaboration de législations protectrices pour nos entreprises, nos savoir-faire, nos territoires. Appelez cela protectionnisme solidaire ou juste échange, ce qui compte c’est que l’Europe cesse d’être l’idiot du village planétaire.

 

En créant une nouvelle « maison », ne risquez-vous pas de fragmenter la gauche, alors que vous appelez à son rassemblement ?

Mon pari, ce n’est pas de contribuer à renforcer un émiettement, mais de clarifier pour mieux recomposer. Et c’est cela qui me rend optimiste et enthousiaste : je ne doute pas un instant que nous soyons au début d’un cycle de recomposition. Il faut travailler au programme qui sera celui de l’alternative républicaine, écologiste et socialiste, qui pourra permettre de gagner en 2022.

 
 
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